Jérôme Cahuzac est passé aux aveux.
Tout le monde est rassuré. L’exceptionnel ministre du Budget qu’il était encore il y a quelque temps, vanté par tous, a révélé ses turpitudes et, d’un coup, le clivage entre la gauche et la droite a repris de la vigueur. La première feint d’être indignée et choquée quand la seconde dénonce mais aussi s’interroge sur le rôle du président de la République et même du Premier ministre (Le Figaro, Le Parisien, Libération).
Jérôme Cahuzac est passé aux aveux mais son mensonge durant quatre mois, avec quelques variations venant parfois semer le trouble, n’est pas ordinaire (LCI). Devant la représentation nationale, solennellement il a menti. En tête à tête, selon ce qu’on nous rapporte, il aurait menti au président et au Premier ministre. A la télévision ou ailleurs, publiquement, il a menti. Ce mensonge répété, de la part d’un homme trop intelligent pour ne pas comprendre que la tromperie, dans certaines circonstances, est plus dévastatrice que la vérité n’est douloureuse à proférer, ne cesse pas de questionner les citoyens.
Certes, Jérôme Cahuzac a trouvé les mots qui convenaient pour magnifier sa honte et formuler ses regrets. Mais quand Bernard Cazeneuve a pris la relève au Budget, il avait su, de la même manière, émotion à l’appui, transmettre un message à la fois de solidarité et de peine. Il signifiait, par son attitude et son propos, qu’il partait la tête haute et la morale impeccable.
Pour se faire pardonner, il s’est réfugié derrière « la spirale du mensonge ». Elle existe en effet et elle peut enfermer à vie une personnalité dans une construction artificielle qui, croit-elle, sert sa cause et ses intérêts. Mais, dans la spirale du mensonge, pour qu’il y ait spirale, le mensonge est nécessaire à l’origine. Il faut qu’il ait été choisi.
Pourquoi Jérôme Cahuzac a-t-il si longtemps opté pour une démarche si peu en accord avec l’apparence altière de son talent, de son être, de ses capacités et de sa relation avec autrui ?
Parce qu’après tout, on peut tenter sa chance et que notre démocratie est souvent trop bête et nos médias trop frileux pour faire encourir le moindre risque à un politique malhonnête et transgressif ?
Parce que la Justice ne fait plus peur et que passer à travers ses mailles est la règle pour les privilégiés ?
Parce que l’éthique de Jérôme Cahuzac a de graves lacunes et que la superbe d’un caractère ne garantit pas la rectitude de l’âme ?
Parce que, choisi par le Pouvoir pour affronter Jean-Luc Mélenchon à la télévision il l’avait dominé et qu’à partir de cette gloire d’un soir il avait légitimement pu croire à sa totale impunité et à sa sauvegarde absolue ?
Parce que, depuis le début du mois de décembre, par une connivence honteuse, feutrée ou ostensible, l’ensemble de la classe politique faisait « la fine bouche » devant ce qu’elle apprenait et qui était déjà suffisamment lourd de sens pour appeler au moins la réserve, une abstention prudente ? Parce que, Eric Woerth soutenant Jérôme Cahuzac et celui-ci lui rendant la pareille pour l’hippodrome, Cahuzac pouvait être assuré, par cette relation emblématique d’un ancien ministre soupçonné avec un ministre mis en cause, que ses pairs de droite et de gauche ne le « lâcheraient » pas ? Qu’ils se réfugieraient, les uns et les autres, par corporatisme, derrière une conception tellement rigide de la présomption d’innocence et de la preuve que Jérôme Cahuzac serait à l’abri de toute accusation professionnelle à vie ?
Parce que Jérôme Cahuzac avait compris que notre République, à son plus haut niveau, dans ses élites, préférerait toujours à la vérité possible, probable, hier certaine, la détestation d’un média, à la justice le dénigrement de Mediapart traité d’organe « à relents fascistes », à la lumière et à l’investigation démocratiques la condamnation d’un site d’information qui n’avait eu que le tort de porter ses coups légitimes, ses foudres et sa curiosité à droite et à gauche ?
Et s’il y avait plus, quelque chose de plus trouble ?
Si, en réalité, depuis le mois de décembre 2012, le président de la République avait appris du ministre de l’Intérieur que la voix sur l’enregistrement était celle de Jérôme Cahuzac, ce dernier, se sentant protégé par cette connaissance et cette absence de réaction, avait duré autant qu’il pouvait dans une atmosphère étrange où le mensonge demeurait enclos dans l’entre soi gouvernemental et présidentiel avant, enfin!, de prendre un tour judiciaire avec l’enquête puis l’information contre x ? D’autant plus que même avec un pouvoir républicain, il aurait été inconcevable qu’au cours de ces dernières semaines, officieusement, aucune donnée décisive n’ait été diffusée et qu’en particulier, la présidence de la République soit demeurée ignorante de ce qu’une écoute de bon sens et de bonne foi révélait et de ce qu’une expertise technique ne pouvait que confirmer. Quand Laurent Fabius affirme que si « le président avait su, il l’aurait viré », on n’est pas obligé d’être totalement naïf.
Le président, j’en suis persuadé, est le premier conscient de l’extrême faiblesse de compétence, de maîtrise et de communication du gouvernement sous l’autorité sans cesse discutée du Premier ministre. Allait-il se priver, sans tenter de retarder l’échéance la pire, d’un ministre indépassable et percutant ? Le mensonge sur la voix, soit, mais la justice, elle, il fallait la respecter, on n’avait plus le choix !
Triomphe discret de Mediapart. Lenteur mais en définitive efficience d’une justice qui a recueilli les aveux d’un Jérôme Cahuzac défait qui, à cause de son mensonge humain et politique, a dévasté, au-delà de sa réputation, l’honneur et la fiabilité de la gauche de gouvernement tout entière. On ne ment pas sauf à ses risques et périls : c’est la leçon. Mais que la morale publique, en France, doive compter sur Mediapart et les magistrats pour être rappelée est un terrible échec.
Des politiques spontanément vertueux dans l’exercice de leur admirable et capitale mission au service de tous, c’est pour quand ?
*Photo : Parti socialiste.
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