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Bégaudeau, ta gauche c’est pas la joie!

L'écrivain François Bégaudeau publie "Notre joie"


Bégaudeau, ta gauche c’est pas la joie!
François Bégaudeau présente son livre "Notre Joie" sur France 5, octobre 2021. Image: capture d'écran YouTube.

Après Histoire de ta bêtise où il brossait un portrait critique du bobo, François Bégaudeau raconte dans son nouveau livre Notre Joie (Fayard/Pauvert) son dialogue avec un jeune identitaire. L’objectif: démontrer que son extrême gauche ne rejoint en aucun cas l’extrême droite. Mais pendant qu’il s’applique à parvenir à cet objectif, sa gauche radicale passe sous silence d’autres menaces du moment.


Vous n’aimez pas le verbiage, monsieur Bégaudeau. Vous n’aimez pas les « ismes ». « Sans-frontièrisme », « immigrationisme », « européisme » … Vous, ce qui vous botte, c’est le réel. Les mots qui disent le réel plutôt que ces mots qui disent tout et ne disent rien. Vous fustigez la « confusion » des identitaires, le brouillage qu’ils introduisent en politique par l’utilisation d’un langage désincarné. « Confusion », c’est le titre de la première partie de votre ouvrage, où vous vous efforcez de montrer l’errance conceptuelle de « M », avec qui vous dialoguez. Vous, il vous faut du concret. Et d’ailleurs le concret, c’est vous.

Plus jeune encore que « M », venant de la gauche (j’ai voté Mélenchon en 2017), je suis de plus en plus attiré par le démon droitier, le souverainisme et la lutte contre le mondialisme, le transhumanisme et l’islamisme (désolé pour les ismes !). Quand j’ai pris votre livre en mains, je me disais, m’adressant à moi-même : peut-être que cette lecture va produire dans ta vie un changement radical, que va survenir un déclic auquel tu devras soumettre, par sincérité, la direction de tes engagements… J’étais enclin à me laisser séduire et vous m’avez mis en face de certaines de mes contradictions. Mais, en tentant de les ébranler, votre livre a consolidé mes convictions. Voilà pourquoi.  

La vraie gauche

D’abord, il convient de dire que si vous maniez fréquemment et avec talent l’ironie et la caricature, vous usez très peu de malhonnêteté intellectuelle. Vous en usez au-moins une fois cependant. A propos de Michel Onfray. Et c’est là un point intéressant.

Qui décide de ce qui est verbiage et de ce qui est verbe ? Vous ? 

Vous l’homme d’extrême-gauche, vous reprochez à la droite de dire à la gauche qu’elle ne met plus la question sociale au centre de ses priorités. Vous affirmez que la droite ne se serait, elle, jamais préoccupé de la question sociale, préférant aujourd’hui évoquer l’immigration plutôt que les fins de mois, l’islamisation des banlieues plutôt que la précarité. Admettons. Mais voilà que vous englobez dans cette critique Michel Onfray, et que vous vous mettez à prélever dans ses propos tout ce qui traite de l’islam, des fameux « ismes » que vous traquez. Vous décrivez sur deux pages sa tribune contre l’écologisme mondialiste où il égratignait Greta Thunberg, tribune qui d’après vous « condense toutes les figures du mode autoritaire ». Pourtant, vous ne pouvez ignorer qu’Onfray rabâche aussi à longueur de temps et depuis des années des exemples éminemment concrets sur les réalités de la précarité sociale, qu’il est régulièrement pour cela accusé de démagogie, que c’est précisément l’une des différences majeures qui apparaît entre lui et Eric Zemmour, et qu’il a même annoncé récemment qu’il s’intéressait beaucoup à Fabien Roussel, le candidat PCF…  

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Encore la semaine dernière, invité sur Sud Radio, il reprochait à Zemmour l’absence d’une politique sociale dans son programme et affirmait que la retraite devait être ajustée à la pénibilité du travail, et qu’à ce titre il serait juste que son propre frère, travaillant dans une usine, puisse prendre sa retraite à 55 ans. Puis il épilogua une nouvelle fois sur l’ubérisation et « ces gamins obligés de livrer des pizzas à 11h du soir », etc. Alors pourquoi cette malhonnêteté de votre part ?

Ce qui vous dérange, chez Onfray, c’est ni plus ni moins, me semble-t-il, ce qui dérangeait Karl Marx chez Proudhon. Ce qui vous gêne, ce que vous ne pouvez concevoir, c’est que la gauche puisse aussi être conservatrice, non-révolutionnaire, et qu’elle s’accorde avec le souci de l’identité culturelle nationale. Que l’on puisse être, comme c’est le cas d’Onfray mais aussi d’autres souverainistes de gauche tels que Georges Kuzmanovic ou le jeune Paul Melun, défavorable au report de l’âge du départ à la retraite, et fermement opposé aux idées woke. Que l’on puisse être contre la destruction du Code du travail, et pour la régulation de l’immigration et le contrôle des frontières. Que l’on puisse disserter sur l’art d’être français, tout en luttant contre la paupérisation corollaire au libéralisme. Que l’on puisse croire en une gauche qui n’est ni la vôtre, ni la gauche néolibérale embourgeoisée de Hollande et consorts. Cette réalité-là n’entre pas dans les algorithmes du grand inquisiteur du réel que vous souhaitez être.

Votre « verbiage »

Vous invectivez toute tentative d’abstraction en politique. Vous prétendez que ce n’est pas le verbe qui vous ulcère, c’est le « verbiage ». Qui décide de ce qui est verbiage et de ce qui est verbe ? Vous ? « Sans-frontiérisme » : verbiage. En revanche, « néofascisme » : verbe. « Souverainisme » : verbiage ! Par-contre, « techno-capitalisme » : verbe…. Bien sûr que le degré d’abstraction en politique doit rester raisonnable, qu’il est dangereux de s’aventurer dans le ciel des Idées et qu’il faut bien rester « fidèle à la Terre », pour reprendre l’expression du Zarathoustra de Nietzsche. Opposer à toute tentative d’abstraction l’immuable réalité des faits sociaux, est aussi creux que d’opposer à tout exemple concret une explication désincarnée. C’est vous qui êtes abstrait, lorsque vous refusez des désignations idéologiques telles que « sans-frontiérisme », vous ajoutez à la confusion. Un mot n’existe jamais par enchantement. Il est avant tout une réponse.

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Vous êtes confus lorsque vous niez la réalité d’une identité française en montrant que vous ne ressemblez en rien à un autre Français, Eric Zemmour, sinon par une vague inclination commune pour le rock et le football. Il ne s’agit pas de ça et vous le savez très bien. Quelle confusion que de dire : « Aussi sûr que le patriotisme participe d’une passion de l’un, le refus du multiculturel est une modalité de la phobie du multiple » ! Le refus du multiculturel participe bien au contraire d’une passion du multiple, alors que le multiculturel suppose justement le brouillage des singularités dans une pâte grumeleuse qui prend la couleur de la culture la plus impériale (américaine en l’occurrence). La frontière garantit l’individuation, donc la singularité, aussi bien à l’échelle individuelle qu’à celle d’une nation. Une culture singulière se nourrit d’échanges avec une autre culture tout aussi singulière, mais pour rester singulières, pour poursuivre leur individuation, elles établissent toutes deux des limites à ces échanges, des douanes.
« Le méchant n’aime pas la différence », alors que le gentil la protègerait ? Le voilà le verbiage facile !

Naïveté ou inconséquence ?

Je crois toujours en votre sincérité, mais je crois aussi en votre naïveté. Refuser coûte que coûte de penser la politique en termes de civilisation, vous aveugle face à de graves conséquences. Vous l’avez dit à Natacha Polony dans un débat organisé par un jeune Youtubeur, il y a quelques mois (alors que vous étiez probablement encore en train d’écrire votre livre). A Natacha Polony qui prétendait ne pas avoir de « désaccords fondamentaux » avec vous, vous lui répondiez que si. Le désaccord majeur tient selon vous en ce qu’elle introduisait dans ses analyses politiques une pensée sur la civilisation, ce que vous vous refusez à faire. Or, la condition sociale, puisque vous ne tenez qu’à parler d’elle, dépend éminemment de la civilisation. Le moment au sein duquel on se situe dans l’évolution de cette civilisation régit de façon inconsciente nos valeurs, nos craintes, nos espoirs, nos façons de vivre, de communiquer, de croire ou de transmettre. Si le prolétaire est toujours exploité et qu’une lutte est à mener contre cette exploitation, il y a par exemple une différence entre être exploité en tant qu’homme, pour ses talents ou son savoir-faire, sur la durée, et être exploité comme un chien interchangeable qui produit pour l’instant – l’archétype du livreur Uber.
Que l’on soit zemmourien ou onfray-iste, c’est-à-dire que l’on considère que la civilisation judéo-chrétienne déclinante est menacée par l’islamisme ou par le transhumanisme, implique dans les deux cas de larges conséquences pour la condition sociale des classes populaires. Des conséquences qu’un homme de gauche comme vous ne devrait pas récuser et prendre à la légère. La réification, par exemple, que suppose l’idéologie transhumaniste[1]. Ce que vous ne voyez-pas, comme une bonne partie de la gauche aujourd’hui, c’est que bon nombre des combats progressistes actuels constituent en réalité l’avant-garde d’un transhumanisme naissant. On dit oui pour être inclusif, oui pour être dans la compassion, dans la reconnaissance des souffrances de chacun, et on finit par dresser les fondements d’un monde totalitaire. Qui veut faire l’ange fait la bête !

Le pire étant qu’être lucide face au danger que représenterait la civilisation transhumaniste naissante pourrait permettre de mener une politique véritablement de gauche. Le réel n’étant pas l’apanage du présent, la condition sociale des classes populaires qui vivront en France dans un demi-siècle devrait vous préoccuper, et c’est être de gauche que d’empêcher que ne se défasse un certain nombre de barrières au transhumanisme mondialiste, de même qu’à l’islam politique.
Vous soutenez que c’est précisément le mantra des pré-totalitarismes que d’annoncer l’apocalypse. Mais c’est le contraire qui est vrai : Hitler, Staline, Mao ou Robespierre annonçaient avec eux la venue du bonheur universel. Une dictature ne prétend pas éviter la fin du monde, une dictature prétend abolir la souffrance et faire descendre le paradis sur Terre. C’est pourquoi la dictature vient si souvent de la gauche.
Et si vos luttes, en fin de compte, anéantissaient la possibilité de la joie, et jusqu’à cette « béatitude suffisante de persister » que vous invoquez?

Notre joie

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[1] La réification, c’est-à-dire la transformation du corps en objet, donc à terme en produit marchandable. Ce processus est déjà à l’œuvre dans les opérations de chirurgie auxquelles ont recourt les personnes souhaitant modifier leur identité sexuelle. Ces personnes qui de plus en plus, décident de recourir à l’opération non pas en raison d’un trouble identitaire très handicapant mais par conviction politique, par suite d’une intoxication à la théorie du genre.



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