Une leçon d’élégance donnée par une escouade d’écrivains dans le vent
Sujet aussi casse-gueule que l’identité française, l’élégance clive et déchaîne les passions chez les rares esthètes égarés dans la mondialisation…
Pour certains, c’est une question de feeling, d’allure, de caractère, de maintien et pourquoi pas même, d’inclusivité. Pour d’autres, c’est une paire de souliers en cordovan, une superposition de vêtements, un revers iconoclaste, un flight jacket craquelé ou une tricotine académique. Se joue alors dans le rapport entre la fripe et l’attitude, entre la nippe et le surmoi, un tango macabre ou endiablé. Le sujet est doublement osé aujourd’hui quand on voit le désastre vestimentaire qui a emporté le monde politique, sportif ou artistique depuis une trentaine d’années. Ces gens-là se ressemblent tous. L’informe est la règle commune de bienséance. Le négligé orchestré, la nouvelle norme des falsificateurs. Il n’y a guère de place pour la provocation taquine, la courtoisie du « sur mesure » ou le débraillé décadent. Nous en revenons toujours à l’essentiel, dans une tenue comme dans une déclaration officielle, dans un livre comme dans un disque, dans un revers à une main ou un tête-à-queue sur une route de campagne, l’absence de style marque la faillite de nos sociétés civilisées.
L’absence de style, conséquence du pas-de-vague?
Chacun d’entre nous, par manque d’audace et de courage politique, se conforme à ces affreuses règles du « vivre ensemble ». C’est-à-dire, ne surtout pas faire de vague, se déguiser comme ses congénères, adopter un costume de survie, passe-partout et si possible, confortable. La feinte et la peur guident nos pas. Nous sommes obnubilés par notre image, nous la lissons jusqu’à l’éteindre, terrifiés à l’idée de ne plus faire partie des sous-ensembles flous. Alors, affirmer son style, c’est risquer en permanence l’exclusion du groupe, le regard désapprobateur de l’autre. L’Homme a horreur de la différence est une leçon apprise, dès la maternelle. La sociabilité est la première marche vers l’invisibilité. Il est donc salutaire de retrouver un peu d’élan souverain dans quelques figures marquantes.
La maison Séguier a réuni des plumes alertes (Alice Ferney, Monica Sabolo, Matthieu Jung, Morgan Sportès, etc…) pour aborder ce sujet volatile dans un beau volume replet, idéal pour les fêtes de Noël. Il fera de vous, et à peu de frais, un être distingué et averti, jalousé par les progressistes et adoubé par les réactionnaires. A travers des portraits libres et habilement troussés, nous reprenons espoir, dans un monde qui accepte enfin la flambe et le ridicule, l’outrageusement apprêté et l’aristocratie du geste, le clinquant et le solennel. Jean Le Gall est l’instigateur espiègle de cette opération de déstabilisation du système. Ce propagateur d’un art de vivre que nous qualifierons de « biarrot-arty » aime à bousculer nos vieilles certitudes. Il cherche dans les interstices, des espaces de respiration et de dissidence.
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Méfiez-vous des anarchistes en souliers vernis, ils sont encore plus dangereux que les femmes qui lisent. Quand j’ai vu la liste des nominés, j’ai eu un premier mouvement de recul, dois-je le confesser. J’ai eu peur de tomber dans le gommeux et le modeux. Federer, le Prince Charles, Frédéric Berthet ou Melville me sont tellement familiers que j’accepte mal la dictée.
Mythologies…
Et puis, j’aurais aimé plus de dérive, plus de gaudriole, plus de populisme goguenard, plus d’équilibre instable. Dans cette Leçon d’élégance, j’aurais bien ajouté Brett Sinclair et son Aston moutarde, Dario Moreno et ses américaines XXL, les sous-pulls en acrylique de Charles Denner, la moustache de Graham Hill, le baise-en-ville de Jean Carmet, le décontracté Vespasien d’Arthur Herbert Fonzarelli ou la puissance barbaresque de Ion Tiriac sur les courts de tennis.
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Mais, chacun construit ses propres mythologies en rapiéçant les gloires du passé. La leçon d’élégance vaut surtout pour la qualité de certains intervenants, des cadors dans le genre persifleur et tendre. J’y ai retrouvé des camarades en pleine forme qui manient le stylo avec grâce et férocité. L’excellent Jean-Pierre Montal, Stéphanois désabusé comme il se doit, croque Bryan Ferry avec déférence et une pointe de hargne. « Bryan Ferry a fait du bricolage une ligne esthétique dont son évolution vestimentaire serait le manifeste » écrit-il. Frédéric Schiffter attaque sa chronique sur Baltasar Gracián avec une classe folle : « La première fois que je fus témoin d’un geste élégant c’est lorsque, gamin, je regardais un épisode de Zorro à la télévision ». Une entame parfaitement dosée, nostalgique à souhait et tentatrice qui donne envie assurément de poursuivre la lecture de son article. Patrice Jean, notre héraut national, cet autre La Bruyère incendiaire se lâche avec gourmandise : « Bien des cons ont dû se rêver en Cary Grant ». Forcément sublime. Cet hiver, sortez couvert et muni de ce recueil hors les lignes !
La leçon d’élégance – œuvre collectif – Séguier
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