Le terrible incident survenu samedi dernier entre un chasseur et un ours des Pyrénées ravive les tensions qui opposent depuis une trentaine d’années les défenseurs du plantigrade et les partisans de la régulation. Cette fois, la goutte d’eau n’est pas loin de faire déborder l’Ariège…
Samedi 20 novembre, sur les hauteurs de Seix, en Ariège, un chasseur septuagénaire a été violemment attaqué par une femelle ourse, avant d’être hélitreuillé en urgence au CHU de Toulouse. Il se serait trouvé malencontreusement entre la femelle et ses deux oursons lors d’une battue aux sangliers, ce qui aurait provoqué la violence du plantigrade. D’après Jean-Luc Fernandez, le président de la fédération de chasse de l’Ariège, le septuagénaire aurait été traîné sur une quinzaine de mètres par l’animal, et aurait alors réussi à tirer avec son fusil et à tuer l’ourse. Une enquête a été ouverte par la gendarmerie pour établir les faits avec précision.
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Réintroduit dans les Pyrénées en 96
En Ariège l’ours est un animal mythique, au sens propre. Comme dans le reste des Pyrénées, il apparait déjà dans des mythologies liées au panthéon pyrénéen avant la conquête romaine, et des cultes païens lui ont longtemps été voués malgré les tentatives d’évangélisation de l’Eglise chrétienne. Craintes et admirations des hommes face à une bête qui, dans les mythes, est souvent comparée à un homme sauvage – dans les vallées du Béarn, on appelle encore l’ours « lou pedescaou » (le va-nus pieds). La toponymie même des reliefs ariégeois témoigne de la présence du plantigrade : Crête du Pas de l’Ours, Tuc des Ours, Tute des Ours, etc. Non loin, dans certains villages montagneux des Pyrénées orientales, la fête de l’ours est encore célébrée à l’arrivée du printemps, la sortie de l’hibernation de l’animal annonçant les premières chaleurs de l’année.
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Mais si l’ours irrigue le patrimoine culturel, il a quasiment disparu des Pyrénées dans la seconde moitié du XXème siècle. On ne dénombrait plus que cinq individus au milieu des années 1990, avant la réintroduction, contre à peu près 150 au début du siècle. Les activités humaines dans les vallées – bergers, randonneurs, chasseurs, stations de ski, etc. – se sont largement développées sans la présence de l’animal. La décision de réintroduire l’ours, en 1996, a été prise au niveau national, et a immédiatement créée des tensions entre associations pro-ours et associations de bergers, chasseurs et élus anti-ours. Dans le même temps les Slovènes voulaient, eux, réguler la population des ours sur leur territoire en raison justement de problèmes de cohabitation avec une activité pastorale croissante. Ce sont donc des ours slovènes qui ont été implantés dans les Pyrénées, alors que la dernière ourse de souche pyrénéenne, « Cannelle », s’est éteinte en 2004 [1]. Aujourd’hui on compte entre 70 et 80 individus dans les Pyrénées, ce qui indique une augmentation constante de la population. Surtout, 40 de ces ours sont regroupés dans le cœur des Pyrénées : au sud-ouest de l’Ariège, dans la région du Couserans – là où le chasseur a été agressé samedi dernier.
Le conseil départemental excédé
Avec une si forte concentration dans un petit secteur, la cohabitation avec les activités humaines ne peut que s’avérer délicate…
Le septuagénaire s’en est sorti vivant parce qu’il était armé. Mais il ne s’agit pas d’un cas isolé. En 2019 déjà, un randonneur fort heureusement rapide s’était fait courser sur 150 mètres par un plantigrade. Cet été, un berger avait également dû se réfugier dans sa bergerie, poursuivi par un ours mâle. La présidente du conseil départemental de l’Ariège, Christine Tequi (PS), regrette le manque de compréhension de la situation au niveau national. « On a passé un cap. Un cap sur lequel on a alerté le président Macron depuis des années » dit-elle au micro de France Bleu. L’éternel argument du « vu de Paris vous ne comprenez-rien aux réalités du terrain » contre lequel Allain Bougrain-Dubourg s’est récemment insurgé. Mais Emmanuel Macron n’avait-il pas, lors de son fameux tour de France à la rencontre des élus locaux, en 2018, évacué le problème avec la méthode éprouvée du « en même temps » ? N’avait-il pas parlé à propos de la politique de réintégration de l’animal dans les Pyrénées de « gestion intégrée » ? Des propos confus tintés de je-m’en-foutisme…
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Selon Christine Tequi, l’enjeu est pourtant colossal pour le département de l’Ariège. La complaisance de l’État avec les associations de défense de l’ours pourrait finir par installer un climat de terreur dans les montagnes ariégeoises, et produire une hécatombe démographique aussi bien qu’économique. « Ce qu’on demande, c’est que l’Ariège ne soit pas rayée de la carte de France, quand même ! (…) [le problème] c’est plutôt est-ce qu’on laisse ensauvager une partie de l’espace ? Est-ce que l’homme se retire de ces espaces sous la contrainte ? Et c’est bien là-dessus que nous, on veut se battre. On dit : cette montagne, elle doit être vivante. Cette montagne, elle doit encore accueillir des projets économiques, du pastoralisme, de la randonnée et qu’on puisse y vivre et s’y divertir » implore la présidente (sur France Bleu), qui ne demande pas le retrait total de l’ours mais simplement la régulation de sa population et l’arrêt d’importations slovènes. Le plantigrade, qui fut longtemps considéré comme le roi des animaux (avant d’être détrôné par le lion), n’a pas fini de faire parler de lui.
[1] L’ourse Cannelle avait été tuée par un chasseur ariégeois en situation de légitime défense. Ce décès avait provoqué une vague d’indignation nationale, et le président Jacques Chirac avait déploré « une grande perte pour la biodiversité en France et en Europe ».
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