Pour l’instant, les progrès de l’idéologie « woke » venue des États-Unis n’ont rencontré aucun contre-pouvoir structuré dans le monde francophone. Attaquant les fondements de l’identité, de la nation (dans son acception la plus noble) et de l’histoire, cette révolution culturelle cherche à tout balayer sous prétexte de lutter contre les discriminations. Dans son nouveau livre, Tout doit disparaître : Cancel culture, wokisme et autres nihilismes contemporains (Edilivre), notre contributeur, le journaliste et écrivain belge, Nicolas de Pape, fait le tour des menaces qui pèsent sur notre civilisation occidentale. Causeur est heureux aujourd’hui de publier les bonnes feuilles de cette somme anti-progressiste.
Introduction Si les activistes que décrit Nicolas de Pape ne sont qu’une poignée, il ne faut pas oublier que, à l’origine des grandes révolutions comme celle des bolcheviques, il n’y avait qu’une minorité de militants. D’ailleurs, la révolution culturelle que nous vivons est numérique, avec l’extrême mansuétude, voire la complicité des GAFAM et des chaînes en streaming telles Netflix. Pour le moment, le seul risque que prennent les lanceurs d’alerte est la mort médiatique. Mais gageons que, si jamais la cancel culture prend le dessus dans notre société, les camps de rééducation ne seront pas loin… Les médias, majoritairement de gauche, sont complices ou tétanisés. Les universitaires également. Même le monde financier et économique a peur d’apparaître comme « réactionnaire » alors que le racisme et le patriarcat règneraient tous azimuts. Le cataclysme climatique qu’on nous sert à chaque repas achève de paralyser toute critique : car comment s’opposer à ceux qui prétendent sauver Gaïa la Terre nourricière ? Il est urgent de combattre ce néo-progressisme qui en fin de compte n’est qu’un dévoiement de l’idée de progrès • La rédaction |
Extraits
Depuis mai 68, on n’avait plus observé un mouvement de fond aussi radical. Peu à peu, par une conjonction d’intérêts indépendants les uns des autres mais poursuivant un but commun, les fondements de notre ancien monde sont sapés un à un. Deux paradigmes, qui ont, petit à petit, remplacé le clivage gauche-droite, se font face, sans possibilité de réconciliation tant ils sont à 10 000 km l’un de l’autre.
Le premier, qui me semble, provisoirement, avoir un net avantage, est sans-frontière, universaliste, post-national, post-historique ; le second insiste sur la notion d’identité, de nation, de passé et d’histoire.
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Le premier veut clairement en finir avec ce qu’il appelle l’ancien monde occidental capitaliste, patriarcal, « blanc », national, « genré » voire chrétien. Il voue aux gémonies le second, l’associant sans vergogne au « retour des heures les plus sombres de notre histoire ».
Dans ses manifestations les plus extrêmes, ce camp de la déconstruction pratique une auto-flagellation victimaire et décoloniale qui décrit une civilisation occidentale dont l’histoire n’aurait été que colonisation, esclavage, massacres, rapines ; en somme, nos ancêtres, monstres avides de richesses, enflés par leur supériorité civilisationnelle eurent le monopole de l’asservissement des autres civilisations.
Les déconstructeurs nous invitent, nous les lointains descendants, coupables de crimes imaginaires, à une génuflexion permanente, une repentance systématique afin que nous nous absolvions des crimes de nos ancêtres.
Niant en parallèle les racines chrétiennes de l’Occident, cette mouvance s’arc-boute autour d’une série de religions séculières fabriquées : néoféminisme mué en chasse au masculin, anti-racisme absolutiste, théorie du genre, réchauffisme obsessionnel et écologisme totalitaire, internationalisme béat, droit-de-l’hommisme dévoiement des droits humains, etc. Ces religions athées s’inscrivent au confluent d’une « convergence des luttes » ou « intersectionnalité » des minorités qui postule par exemple que les femmes sont plus victimes que les hommes du réchauffement climatique. Une série de régressions sociétales (la GPA, la possibilité d’avorter pour détresse psychologique à quelques semaines de l’accouchement par exemple) sont présentées comme d’invariables victoires progressistes. Le progressisme est désormais l’horizon indépassable. Un progressisme sans limite qui demande chaque jour de nouvelles réformes « humanistes » comme le Dieu Baal des sacrifices humains.
Ce phénomène planétaire est accéléré par la digitalisation du monde et le dessein des GAFAM qui travaillent notoirement à créer une illusoire « citoyenneté planétaire » 3.0 et dont les buts des fondateurs (par ailleurs presque tous des hommes américains blancs, que ce soit Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Jeff Bezos ou Bill Gates, pour ne citer que les plus célèbres) sont documentés : en finir avec les nations, l’identité, le repli sur soi, tenus pour responsables des deux guerres mondiales. Devenus monopolistiques, ces GAFAM influencent aujourd’hui les élections (l’élection présidentielle US), censurent, pour l’essentiel, les représentants du paradigme frontiériste qui leur fait face, modifient leurs algorithmes pour faire avancer leurs causes et s’affichent comme des mécènes alors qu’ils accumulent des profits jamais vus depuis le 19e siècle (jusque 200 milliards de fortune pour le patron d’Amazon, Jeff Bezos, le nouveau Rockfeller).
Révolution ou contre-révolution ?
Il semble que la montée des populismes ait réveillé dans ce camp « progressiste » l’obsession du « plus jamais Hitler » auquel ce camp fait répondre, invariablement, « l’immigration est une chance » d’où le fait que je perçois une sorte de « contre-révolution progressiste » qui entend empêcher le retour parfaitement fantasmé de la « Bête immonde » (alors que le contexte historique est totalement différent). On compare ainsi Viktor Orban, qui veut demeurer hongrois à Adolf Hitler dont l’objectif était d’asservir les peuples voisins au nom d’une hiérarchie des races.
Or cet antiracisme absolutiste et l’imposition contre la volonté des peuples d’une société multi-ethnique dont on voit bien les limites (choc des cultures, terrorisme, décapitations) réveillent dans la vieille Europe un repli ethniquement homogène parfaitement logique et prévisible (grégarité). Celui-ci est aussitôt qualifié de racisme pour mieux le délégitimer et l’abattre afin, toujours, d’installer cet homme nouveau sans culture, sans identité, sans frontière, voire non-sexué. Cette révolution ne serait pas possible sans la complicité pleine et entière de la majorité des médias qui y voient l’opportunité historique unique d’en finir enfin avec l’Ancien monde honni.
Un autre des piliers de notre civilisation est soumis à la flibuste : la sexuation masculin-féminin, héritière d’un milliard d’années de biologie et de zoologie depuis que la vie est apparue sur Terre. Des militants transgenres radicaux la remettent en question au nom du fait qu’il y aurait 48 sexes différents sur une échelle ouverte. Ces lobbies sont certes très minoritaires mais leur influence ne doit pas être sous-estimée. De plus en plus de jeunes gens et jeunes femmes se demandent de quel sexe ils sont. Un jeune homme très féminin, par exemple, peut être rapidement pris en main par une de ces multiples associations qui le convaincront rapidement qu’il est une femme. Or contrairement aux transsexuelles dans les années 80 qui luttaient légitimement pour changer leur état civil et le mettre en adéquation avec leur apparence physique après opération chirurgicale, les trans-contemporains considèrent que tout est relatif. L’apparence est un détail. Pour ces milieux militants, le genre n’est qu’une construction culturelle de même que l’orientation sexuelle est choisie par le milieu : l’écrivaine Virginie Despentes, par exemple, martèle que toutes les femmes naissent lesbiennes mais que la famille les contraint à l’hétérosexualité pour mieux les soumettre au patriarcat (…)
Figure paternelle en danger
A côté de ces attaques contre la différence (ce qui est un comble pour ces ambassadeurs de la diversité), on doit constater que la figure paternelle est, elle aussi, en danger.
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Elle l’est, non seulement en raison des attaques contre le masculin par des néoféministes qui confondent virilité et violence faite aux femmes mais aussi en raison de l’apparition de techniques de fécondation artificielle de plus en plus poussées qui conduisent à des situations où l’enfant est privé du père ou de la mère, via notamment le phénomène des homo-parents ou des femmes sans compagnon utilisant la fécondation in vitro. Dans le cas de couples lesbiens, l’enfant n’a pas de père. Lorsque des gays masculins utilisent des mères porteuses, l’enfant n’a pas de mère. Même si je ne remets pas en question la sincérité des homo-parents ou des femmes qui choisissent d’être enceintes seules, ces « avancées sociétales » relèvent-elles vraiment du progrès ? Elles posent des questions sur l’équilibre futur des enfants, en l’absence de recul. Un débat que n’osent plus poser les pédopsychiatres de peur d’être taxés de réactionnaires (…)
Histoire désavouée, Etat-nation bouc émissaire
La déconstruction s’attache particulièrement à effacer notre histoire lorsqu’elle s’en prend aux statues de nos grands hommes et fait de la Nation la responsable des déflagrations mondiales passées et potentielles à l’avenir.
Il n’y a plus que deux « nationalismes autorisés » : le régionalisme et l’européisme. Le premier est pourtant bien trop petit pour rassembler une communauté humaine autour de son passé et le second est totalement chimérique et lui aussi dangereux. Si le but de l’européisme est d’ériger l’Europe en Empire, cela nous renverrait aux exemples impérialistes du passé : Empire russe, Empire austro-hongrois, Empire romain, Empire ottoman. Quant aux Etats-Unis d’Europe, ils sont parfaitement chimériques.
Dans sa haine de l’Etat-nation, le camp déconstructiviste confond nationalisme et impérialisme, seul ce dernier ayant amené à des massacres en particulier ceux du 20e siècle. Pour ma part, j’estime que l’Etat-nation est l’ensemble humain le plus adéquat en efficacité et en taille. L’amour de son pays n’est pas la haine de celui des autres.
Le christianisme avachi
L’entreprise de déculturation n’est pas en reste avec le pape François. Celui-ci est sans doute le prélat le mieux accueilli depuis longtemps en raison de ses positions progressistes au regard justement des grands courants sans-frontièristes qui règnent en Occident. S’il est positif de constater que le Pape n’a plus d’animosité envers les mariages homosexuels (l’institution du mariage hétéro ou gay devrait, selon moi, être privatisée), on peut s’interroger sur son absence d’esprit évangélisateur. Dans le 8e chapitre de ce livre, intitulé, « L’Avachissement du catholicisme », je documente comment François considère les Dieux des peuplades amazoniennes comme égaux ou supérieurs à son Dieu. En dépassant largement l’œcuménisme, le pape François appartient de manière caricaturale au courant relativiste qui sévit actuellement. Si sa position est particulièrement louable vis-à-vis des Juifs par exemple et s’il doit veiller à la sécurité des Chrétiens d’Orient et donc affirmer son respect de l’Islam, autre grande religion du Livre, son ouverture à l’immigration massive en Europe s’explique aussi par son manque de compréhension du continent européen et de son histoire. Le Pape actuel participe aussi d’un sentiment de culpabilité qu’il doit à sa complicité avec la Junte au pouvoir dans son pays, l’Argentine.
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En vue de la destruction progressive des Nations, la mouvance a développé deux armes : le déni des cultures qui nie les différences culturelles et le sans-frontièrisme. Cette idéologie fleurit un peu partout, règne dans la plupart des institutions internationales (ONU, OCDE, FMI), dans les universités et surtout au sein de nos deux Cours suprêmes (CJE, CEDH) dominées par des juges progressistes nommés de manière obscures. On voit aujourd’hui, avec la décapitation du professeur français Samuel Paty par un jeune Tchétchène ayant reçu l’asile politique, les dégâts de cette délétère vision sans-frontière.
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