La proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de « mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives » adoptée par le Sénat le 27 février 2013 aura fait couler de l’encre. C’est qu’il y avait beaucoup à dire. Mon avis, c’est que le monopole de la violence légitime ne se partage pas. Mais je m’inquiète surtout du cheval de Troie amnistiant les délits financiers qui s’est faufilé dans les méandres juridiques de l’amnistie prolétarienne.
Lorsque le texte est présenté par un groupe de sénateurs communistes, il s’agit bien évidemment de faire valoir le droit à l’expression syndicale plutôt que les conséquences pénales de manifestations ou de grèves qui auraient dégénéré entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013. La droite hurle au laxisme et dénonce un blanc-seing pour les casseurs, les socialistes se regardent les pieds pendant que Jean-Luc Mélenchon assure qu’il pourchassera jusque dans le dernier village de France les « suppôts du Comité des forges » qui refuseront de voter ce texte. Partagée entre le souci du droit syndical et le respect de la légalité républicaine, la majorité louvoie et amende à tour de bras le texte pour en réduire les aspérités. En tentant d’étouffer le bruit de la balle avec un oreiller, les socialistes adoptent un amendement qui n’amnistie plus les infractions mais les contraventions et les délits prévus au livre III du Code pénal. Or si ce livre III inclut les dégradations matérielles commises au cours de mouvements sociaux, il répertorie aussi tous les délits financiers : vols, détournements, abus de confiance, blanchiment, abus de bien social, recel, etc. Curieuse coïncidence alors que cinq comités d’entreprises, Air France, la SNCF, EDF-GDF, France Telecom, la RATP, ainsi que la puissante Unions des Industries et des Métiers de la Métallurgie (IUMM) sont dans l’œil du cyclone après les enquêtes des députés, de la Cour des comptes et de la brigade financière…
« Difficile ici de se départir de l’idée qu’il n’y a pas quelqu’un à la manœuvre tant les intérêts sont énormes », explique Pierre Edouard du Cray. Il est le Laocoon qui a levé le lièvre. Ce spécialiste des finances publiques, directeur des études de l’association « Sauvegardes retraites » l’assure : « Ce texte pourrait permettre aux élus du Comité d’Entreprise de la SNCF et d’EDF-GDF actuellement devant la justice pour malversation de s’en tirer sans condamnation ». D’autres tireraient aussi largement partie de la mesure, notamment les puissants syndicats patronaux dont on connaît le goût pour le versement occulte lorsqu’il s’agit d’acheter la paix sociale. Idem pour les partis politiques qui savent redoubler d’inventivité dans l’échafaudage des financements de campagnes.
Quant aux ouvriers, que sont censés défendre les syndicats, ils auront été une fois de plus les idiots utiles du système. En bouclier pour défendre une loi qui ne leur est finalement pas adressée, ils auront, à leur insu, fait le jeu des délinquants en cols blancs qui échapperont à la justice. C’est la morale de la fable du scorpion et de la grenouille d’Esope : « Il ne faut jamais se fier à un méchant, il ne peut dominer ses tendances du sang, il se sert tôt ou tard de son âpre poison. »
*Photo : ntr23.
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