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Amnistie sociale : un pavé dans la loi


Amnistie sociale : un pavé dans la loi

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Sans vouloir offenser Benoît Hamon, on ne peut pas dire qu’il soit particulièrement comique. Qu’il soit donc remercié pour m’avoir fait éclater de rire en déclarant qu’avec la loi d’amnistie sociale, le gouvernement avait voulu apporter un « message de paix et de dialogue ». Elle est bien bonne. D’abord, le gouvernement n’a rien voulu du tout : cette proposition fomentée par les sénateurs communistes, avec Mélenchon à la manœuvre, est la dernière épine qu’ils aient trouvée à planter dans le pied de François Hollande. Surtout, notre excellent ministre de la viande hachée oublie que ce message quasi christique s’adresse seulement à une partie de la population, pour faire court celle qui a le bon goût de voter à gauche mais commence à se dire qu’on ne lui refera pas le coup du vote utile. Il oublie aussi (ou s’en contrefiche) que, pour une autre partie des Français, qui voient l’autorité de l’État se déliter (et qui  ne votent pas tous à droite), ce message de paix est une provocation, voire une insulte. L’affaire a, paraît-il, fait du foin chez les Verts, où on s’est souvenu des chasseurs qui avaient vandalisé le bureau de Dominique Voynet. Manuel Valls s’est déclaré « sceptique » – traduction polie de « consterné ». La droite aurait été bête de ne pas jouer sur ce velours-là : « chèque en blanc à la violence », « encouragement au cassage », tout l’arsenal de la rhétorique anti-laxiste a été mobilisé.
François Hollande n’a pas osé affronter ses fougueux « alliés » ou pas voulu les laisser apparaître comme les seuls dépositaires de la souffrance ouvrière. Et puis, on ne saurait exclure que certains socialistes, à commencer par lui, aient mauvaise conscience en se rappelant la campagne, quand ils ne promettaient rien mais faisaient ou laissaient croire qu’ils changeraient tout. Les sénateurs PS ont juste été priés de déminer le texte. La loi votée au Sénat le 27 février prévoit d’annuler les sanctions pénales et disciplinaires prononcées pour des destructions commises au cours de mouvements sociaux, y compris lors de manifestations. Les violences contre les personnes et les atteintes à une autorité publique ont été explicitement écartées, la nouvelle formulation excluant par ailleurs les faucheurs d’OGM et les activistes de RESF (mouvement d’aide aux « sans-papiers »)[ 1. Seuls les militants du droit au logement ont survécu aux amendements.].
Il faut le dire avec force : les personnes et les actes visés par cette « amnistie sociale » ne sont pas des délinquants et des délits comme les autres.[access capability= »lire_inedits »] Le syndicaliste qui saccage une sous-préfecture n’a rien à voir avec l’agresseur qui braque une petite vieille parce qu’il est sûr de sa force et de son bon droit d’avoir « tout, tout de suite ». Les sociologues diront qu’ils sont tous deux malheureux. Certes. Ils ont aussi en commun la certitude d’avoir été floués. Sauf que c’est vrai pour l’un et pas pour l’autre. Oui, le métallo qui voit disparaître le monde où il vivait et qui n’a plus de place dans celui qui vient a de bonnes raisons d’être en rage. Surtout quand on lui sert le même boniment avant chaque élection, et que, faute d’autre rêve disponible, il s’est laissé aller à y croire.  Il ne mérite pas notre opprobre pour s’être défoulé dans le bureau d’un conseiller bien propre sur lui en faisant voltiger des piles de dossiers dont rien de bon ne sort jamais.
C’est pour cela que la justice est rendue par des hommes et pas par des machines[2. Je sais, les délits routiers sont scandaleusement constatés et verbalisés par des machines.]. Les juges ont heureusement la main plus légère avec l’ouvrier qu’avec le malfrat, parce que les mobiles qui inspirent les actes interviennent dans leur appréciation et que la révolte face à l’injustice en est un plus noble que la cupidité. Les « Conti » ont été condamnés à des amendes allant de 2000 à 4000 euros – qui seront payées par les syndicats – et qui couvrent 20 % des dégâts : le reste, c’est pour nos pommes[3. Et puis, sur le plateau du « Grand Journal », ils ont dû se faire draguer par plein de jolies filles.]. J’accepte volontiers de verser ma contribution à la lutte ouvrière. La rage de s’être fait avoir, l’avenir désespérant, les familles qui s’inquiètent méritent notre compassion. Pas l’absolution.  
Un délit d’opinion reste un délit. La Justice doit se prononcer sur le délit, pas sur l’opinion. Tout en tenant compte de l’opinion, qui peut être une circonstance atténuante, pour l’ouvrier en colère, ou aggravante dans le cas du crime raciste. Mais le suffrage universel ne confère pas aux gouvernants le droit de décréter arbitrairement que certaines opinions sont légales et d’autres pas. Le texte initial prévoyait d’effacer « les infractions commises lors de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux relatifs aux problèmes liés au logement, à l’éducation, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants » – en somme les bêtises des copains des « assoces ». Apparemment, il n’a pas été envisagé d’étendre le pardon aux mouvements collectifs revendicatifs relatifs à la progression de l’islam. Au contraire, les amnistieurs d’aujourd’hui exigeaient hier l’interdiction des jeunes identitaires qui ont manifesté sur le toit d’une mosquée en construction – sans y commettre le moindre dégât. Mais le plus amusant, c’était la période initialement retenue : étaient amnistiés les faits commis entre 2007 et le 6 mai 2012. En clair, contre Sarkozy, tout était permis. Un « message de paix », vous dit-on.
Une loi d’amnistie doit refléter la volonté collective de pardon ou d’oubli. Pas permettre au pouvoir de désigner ceux qui pensent bien (et accessoirement d’envoyer des « messages de paix » à sa clientèle). Clémentine Autain, ma camarade de dispute sur Yahoo, ne voit pas le problème. La gauche est au pouvoir, ces gens défendent des valeurs de gauche, rien de plus naturel. Puisque c’est pour les bonnes causes – littéralement. Tant pis si cela revient à mettre la Justice au service de l’idéologie. Montesquieu doit être has been. Désormais, l’État de droit, ce sera à la tête du client.[/access]

*Photo : Eduardo Nasi.

Mars 2013 . N°57

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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