L’éditorial du dernier numéro de la revue amie Conflits. Le numéro 36 est consacré à la mer de Chine et ses victimes… Disponible à la vente maintenant.
Le troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie s’organise dans un silence total. Quasiment personne n’évoque ce sujet en métropole et aucune vision stratégique n’est définie quant au rôle du « Caillou » dans la projection française.
Alors que la population s’est majoritairement opposée à l’indépendance lors des deux référendums précédents, un troisième est organisé comme si la France tenait absolument à se séparer de ce territoire !
Que les Français installés dans l’archipel après 1994 soient interdits de scrutin ne semble pas choquer grand monde ; il est apparemment possible de retirer leurs droits civiques à certains citoyens. La vision stratégique française se rétrécit de plus en plus, se limitant au Sahel et au Proche-Orient. En dépit des appels à la coopération indopacifique, aucun plan stratégique n’est pour l’instant défini, ni aucune vision de ce que doit être la projection française dans un espace qui est sien du fait des territoires polynésiens et néo-calédoniens. Le territoire français lui-même semble trop grand pour une puissance qui suit la pente du rétrécissement.
Ordre à l’intérieur, puissance à l’extérieur…
L’ordre intérieur est le préalable à la puissance extérieure. Un pays surendetté ne peut pas faire les investissements militaires nécessaires au maintien du rang de son armée. Un pays où les forces de police ne contrôlent plus certains quartiers peut difficilement donner des leçons de stabilité à ses partenaires africains. Un pays où il est nécessaire de faire des cours d’orthographe aux étudiants de L1 pour tenter de corriger les graves lacunes dans la maîtrise de leur langue maternelle peut difficilement former et produire les ingénieurs, les stratèges et les cadres compétents pour maintenir le niveau de développement et de progrès technique qui sied à une grande puissance. La puissance intérieure, économique, démocratique et matérielle, est le préalable à la projection de la puissance extérieure. Si Margaret Thatcher a pu lancer le Royaume-Uni dans la guerre victorieuse des Malouines (1982), c’est parce qu’elle avait réalisé depuis 1979 les réformes indispensables au redressement d’un pays qui était en faillite et sous quasi-tutelle du FMI. Si Jacques Bainville est surtout connu pour son œuvre d’analyste des relations internationales, on sait moins qu’il fut un chroniqueur économique quotidien, analysant les politiques fiscales et monétaires de la France. Un grand nombre de ses chroniques a été publié sous le titre La Fortune de la France un an après sa mort (1936). On y découvre un intellectuel qui a parfaitement compris le fonctionnement de l’économie, le rôle de la monnaie, l’importance d’une fiscalité moindre, la nécessité de la liberté d’entreprise. On pourra être surpris que le même Bainville se soit livré à deux exercices apparemment différents : analyser les relations internationales et étudier les politiques économiques. La contradiction n’est qu’apparente tant Bainville avait compris qu’un pays ne peut pas compter sur la scène mondiale s’il n’est pas une puissance économique d’envergure.
Le modèle chinois
C’est ce qu’a brillamment démontré la Chine. Entrée à l’OMC en 2001, regardée de haut et avec dédain par beaucoup, elle est désormais l’une des hyperpuissances économiques et peut, vingt ans après, exprimer à haute voix ses ambitions géopolitiques. Xi Jinping, avec sa personnalité et sa vision propre, est l’héritier des réformes de Deng Xiaoping et de Hu Jintao.
S’il n’y avait pas eu les ouvertures des années 1980, l’abandon des politiques maoïstes désastreuses et la volonté de se faire « atelier du monde », il ne pourrait pas y avoir aujourd’hui les initiatives des routes de la soie et les appétits en mer de Chine.
L’URSS a connu le chemin inverse : sa faillite économique a provoqué son implosion intérieure et sa disparition de la scène mondiale (1991). Trente ans plus tard, les pays d’Asie centrale ont relevé le défi du développement et sont aujourd’hui des partenaires intéressants. Si la France pouvait décentrer son regard du seul Sahel, elle pourrait aussi regarder davantage vers ces pays en « stan », où la francophilie est réelle et les possibilités de partenariats économiques, culturels et stratégiques sont majeures. Comme pour le Pacifique, cela serait pour sa plus grande Fortune.
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