« Debout les Femmes ! » vs « La Fracture » : où la France précaire est bien mieux regardée par le documentaire que par la fiction…
La femme est aujourd’hui l’avenir du social : le cinéma français le sait bien, qui promeut partout où c’est possible des personnages de « femmes puissantes » (copyright l’Empire du Bien). Deux films actuellement en salles prouvent que les résultats sont plutôt contrastés.
«La Fracture»: surrégime et hystérie
Le temps d’une nuit d’émeute avec gilets jaunes, « La Fracture » transforme les urgences d’un hôpital parisien en modèle réduit de la France. Comme Dante et Virgile pour nous guider dans cet enfer, Catherine Corsini choisit deux bourgeoises en couple au bord de la rupture (Valeria Bruni Tedeschi et Marina Foïs) et y adjoint un manifestant blessé (Pio Marmaï). L’une, secondée par sa compagne, est tombée sur la voie publique, l’autre a été touché par la force publique.
Leur point commun, tout naturellement, sera l’hôpital public où ils attendront leur tour en se haïssant avant de fraterniser, au milieu de petites gens qu’une caméra toujours mobile fait mine de regarder. Le surrégime permanent et l’hystérie des acteurs ne parviennent pas à maquiller la greffe dérisoire du film de lutte sur une comédie du remariage rendue vaguement singulière par le même sexe des protagonistes.
On n’en peut rapidement plus des gags burlesques, signifiant que tout part à vau-l’eau (Bruni Tedeschi tombe au moins trois fois d’un brancard). Et quand les manifestants poursuivis par les CRS se réfugient à l’hôpital, le mélange d’Eisenstein et de Feydeau ne convainc pas. Comme il faut bien des héros pour que le peuple s’identifie (Marmaï est plus clownesque qu’autre chose), Corsini fait monter en puissance un personnage d’infirmière-courage forcément « racisée » (Aïssatou Diallo Sagna) vers qui tous les fils narratifs convergent. Ce qui lui arrive pourrait remplir une saison d’une série médicale, et il ne manque guère que l’attaque extraterrestre. Au petit matin, tout rentre dans l’ordre et chacun dans ses clous : les bourgeoises récupèrent leurs billes, les prolos n’ont plus qu’un oeil pour pleurer. Le stade du constat lourdingue ne sera pas dépassé.
François Ruffin, député-cinéaste et honneur d’une gauche en miettes
Face à la simplification putassière d’une fiction de classe bourgeoise, « Debout les femmes ! » fait office de contrepoison. C’est le meilleur documentaire signé François Ruffin et Gilles Perret, et un film souvent bouleversant. Prenant le prétexte d’une mission pour l’Assemblée nationale sur les métiers du lien, le député parcourt la France au fil de l’eau, par temps de Covid, avec ou sans son co-rapporteur, l’étonnant Bruno Bonnell de LREM.
Derrière les portraits de femmes masquées aidant les plus démunis, se dessine en filigrane celui d’une Assemblée fantoche, circuit fermé de technocrates incapables d’assurer la protection de tous les citoyens et s’en foutant pour tout dire. Les scènes où Ruffin voit son projet de loi retoqué par une commission littéralement sans visage sont scandaleuses, tout comme le vote final par l’Assemblée – le seul amendement que le député-cinéaste parvient à faire passer étant de l’ordre du symbolique (la mention dans un texte du mot « dignité »). On comprend mieux le cinéma de Ruffin avec « Debout les femmes ! », notamment son côté boy-scout potache qui apparaît comme une défense face à l’injustice. Une rencontre avec un ancien boulanger en fauteuil depuis un AVC est par exemple enchaînée avec une musiquette sautillante. Ce qui pourrait sembler de mauvais goût ressort en fait du désir de ne pas laisser triompher l’adversité. La vie, pour Ruffin, doit continuer.
D’où la fin naïve au milieu de l’assemblée improvisée des travailleuses précaires où chacune peut faire enfin entendre sa voix. Dans la plus belle scène du film, une femme de ménage s’immisce presque en secret dans le bureau du député pour l’encourager et le remercier. Comme elle refuse d’être filmée, Perret cadre le visage de Ruffin la regardant et l’écoutant, avec l’intensité de quelqu’un qui se sait engagé par et pour les autres. On lit dans ses yeux la peur de ne pas être à la hauteur, de faillir, de n’avoir pas de poids. Et on sent ce que Catherine Corsini est incapable de filmer dans « La Fracture », le lien mystérieux entre deux êtres, l’un s’en remettant à l’autre, et lui donnant la force de l’aider ou de le représenter. Avec « Debout les femmes ! », François Ruffin filme mieux que des femmes, des hommes – tous sexes confondus – de bonne volonté, et apparaît plus que jamais pour ce qu’il est : l’honneur d’une gauche en miettes.
La Fracture de Catherine Corsini. En salles depuis le 13 octobre
Debout les femmes ! de François Ruffin et Gilles Perret. En salles depuis le 27 octobre
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