Dans son dernier essai, Estampillés, essai sur le néo-racisme de la gauche au XXIème siècle, l’essaysite belge Drieu Godefridi étrille la nouvelle doxa racialiste autour du « privilège blanc » et de la « critical race theory », et en particulier Robin DiAngelo, auteur de White Fragility. Pour lui, c’est cette doctrine qui est intrinsèquement raciste dès lors qu’elle juge les « Blancs » et leur culpabilité uniquement sur base de la couleur de leur épiderme. Entretien.
Causeur. Robin DiAngelo, auteur de White Fragility, grande thuriféraire du « racisme systémique » que vous analysez dans votre livre, estime que « nul n’est innocent de sa race ». Qu’entend-elle par là et en quoi est-ce, selon vous, un sophisme ?
Drieu Godefridi. Les tenants du néo-racisme contemporain évoluent dans une structure théorique que je qualifie de mythique, au sens strict. S’abreuvant aux approximations de Herbert Marcuse, ils ont forgé un certain nombre de concepts — privilège blanc, racisme systémique, fragilité blanche — au terme desquels, dans nos systèmes, un Blanc est toujours privilégié en tant que blanc, quels que soient ses idées, sa vie, son engagement. C’est à ce titre que « Nul n’est innocent de sa race » comme l’écrit DiAngelo, sophisme en forme de sentence qui résume à merveille le néo-racisme contemporain. Quand on écorche le Blanc pour n’en retenir que la couleur de l’épiderme, il cesse d’être un homme, une personnalité. Il n’est plus qu’une peau tendue « hantée » par le « système » !
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Mais qu’entendez-vous par « néo-racistes » ?
Comme le critère ultime et unique de la « critical race theory » est la couleur de la peau, cette idéologie est raciste au sens strict. On la qualifie parfois de « racialiste » ; le racisme serait fondé sur la haine de l’autre, quand le racialisme ne serait que l’exaltation de soi. Cet aimable sophisme doit être considéré à la lumière des écrits néo-racistes, non de leur notice dans Libération et The Guardian. Ces écrits sont saturés d’exécration contre l’homme blanc, essentialisé et fantasmé comme l’était (et le reste) le Juif. Je renvoie le lecteur sceptique à Mediocre, publié par Ijeoma Oluo en 2020, l’un des précis de haine raciale les plus aboutis depuis La France juive que publiait Édouard Drumont en 1886. Ces deux « essais » partagent, du reste, la même épistémologie du « story-telling », consistant à raconter des histoires viles et crapoteuses qui mettent en scène leur « cible ».
Ceux que vous classez comme néo-racistes semblent obsédés par la traite négrière américano-européenne. Mais vous rappelez dans votre livre que les « Blancs » furent, des siècles durant, eux-aussi des esclaves. Pourquoi les « racisés » feignent-ils de l’ignorer ?
La haine rend aveugle. Le mot esclave est issu du latin médiéval sclavus qui signifie «slave» au VIIe siècle. Le sens a glissé vers «esclave» au Xe siècle, grand siècle esclavagiste qui vit les Arabes du nord africain, les musulmans d’Anatolie et les Européens réduire en esclavage de vastes populations de Slaves. « Ces Slaves d’Europe centrale et orientale, chrétiens orthodoxes, explique l’historien français Alexandre Skirda, considérés comme hérétiques et dépourvus d’«âme», donc des «marchandises parlantes», [sont vendus] au monde musulman du VIIIe au XVIIIe siècle. Ainsi, les actuels Serbes, Bulgares, Roumains, Moldaves, Biélorusses, Ukrainiens et Russes seront capturés par les Francs et Scandinaves d’abord, relayés ensuite du XIIe au XVe siècles par les Vénitiens et Génois ; enfin, les Tatars de Crimée poursuivront la traite pour le compte de l’Empire ottoman ; phénomène qui touchera au total des millions de victimes. » Venise la Sérénissime se fit bientôt une spécialité d’acheminer de pleines cargaisons d’esclaves blancs de l’est de l’Europe vers l’Anatolie musulmane et de la mer Noire vers le Nord de l’Afrique. Les Vénitiens « étaient avides de cette source de revenus particulière, explique l’historien anglais Peter Akroyd, car le bénéfice sur chaque article était réputé de 1000 %. Ils ont vendu des Russes et même des Grecs chrétiens aux Sarrasins. Des hommes, des femmes et des enfants sont achetés ou capturés dans la région de la mer Noire, notamment des Arméniens et des Géorgiens, avant d’être expédiés à Venise où ils sont vendus à l’Égypte, au Maroc, à la Crète et à Chypre. Ils vendaient des garçons et des jeunes femmes comme concubines. » Dans son origine étymologique, historique et raciale, l’esclave désigne donc la race slave. Le Slave est blanc. Ce qui nous rappelle opportunément que l’esclavagisme est partie intégrante de l’histoire humaine dans chacune de ses composantes civilisationnellesn et que la pratique esclavagiste n’est l’apanage d’aucune.
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Selon Frances Lee Ansley, la « White Supremacy » fait référence à « un système politique, économique et culturel dans lequel les Blancs contrôlent de manière écrasante le pouvoir et les ressources matérielles, où les idées conscientes et inconscientes de supériorité et de droit des Blancs sont largement répandues. » Selon vous, cela ne tient pas la route. Pourquoi ?
Pourriez-vous produire, hic et nunc, le contenu de votre inconscient ? Connaissez-vous l’inconscient de votre voisin ? Cette idée que le Blanc, même marié à une « femme de couleur » avec des enfants qui ne sont pas « blancs » et qui professe sincèrement l’anti-racisme, serait raciste et « white supremacist » de façon inconsciente, est risible et anti-rationnelle. La thèse néo-raciste de l’envoûtement systémique demande, quand on la rapporte à l’ensemble d’une population, des mesures et quantifications, suivant les protocoles en vigueur de la psychologie empirique. On ne trouve rien de tel dans la littérature néo-raciste ; seulement des divergences réelles entre groupes de population qui sont brandies comme preuve du « white supremacism ». Ce sont là, typiquement, des « quêtes sartriennes » au sens des Réflexions sur la question juive : quand on tronçonne arbitrairement une section raciale, on finira toujours par trouver des divergences réelles, aussitôt brandies comme « preuve » du « racisme » du Blanc, comme hier de la « perversité » du Juif. Les théoriciens du néo-racisme sont d’ailleurs bien en peine d’expliquer, par leur théorie, comment et pourquoi les Américains d’origine asiatique réussissent souvent « mieux » dans le système américain — revenus, tests SAT, université, métiers de la science — que les « Blancs ».
Vous comparez la condition de l’homme blanc à travers la grille de lecture des néo-racistes à celle des Juifs dans l’Allemagne nazie. N’est-pas excessif ?
Je démontre que les catégories sur lesquelles est fondé le néo-racisme sont identiques à celles du racialisme national-socialiste : essentialisme, responsabilité collective, responsabilité à travers les âges. De ce point de vue, le parallélisme est parfait. Comme le rappelait tout récemment l’intellectuelle Pamela Paresky dans Sapir, A Journal of Jewish Conversations, « la critical race theory pose évidemment un problème particulier pour les Juifs, qui représentent environ 2 % de la population américaine. Une proportion beaucoup plus élevée de Juifs que de non-Juifs fréquentent l’université. Les Juifs représentent une part surdimensionnée des lauréats de prix importants, comme les prix Nobel. En 2020, sept des vingt Américains les plus riches étaient juifs. Dans pratiquement toutes les grandes industries et institutions américaines, les Juifs occupent des rôles de direction disproportionnés par rapport à leur nombre démographique global. » Quand la réussite, quelle qu’elle soit, devient le signe de la perversité — ce qui était le cas dans le racisme national-socialiste comme aujourd’hui dans le néo-racisme — la haine envieuse montre son vilain museau.
Condoleeza Rice, ancienne ministre des Affaires étrangères de George W. Bush, invitée à l’émission « The View » de Whoopi Goldberg a dégommé la critical race theory (CRT), parlant d’une ségrégation à l’envers contre les Blancs. Est-ce, selon vous, le signe d’un certain réveil aux États-Unis face aux délires de la CRT ou doit-on s’attendre à vivre avec pendant les trente prochaines années ?
En 1989 tombait le Mur de Berlin et naissaient, la même année, le néo-racisme et l’idéologie du genre. L’idéologie est immortelle. Ce à quoi nous assistons, tout du moins aux États-Unis, est la « mainstreamisation » de la pensée néo-raciste, qui a investi les écoles et fait les titres de la presse de gauche. J’ignore ce que sera le terme de cette réinvention de la haine raciale, sous un format bien-pensant. Ce que je sais est que tout homme de bien, de droite comme de gauche, quelle que soit sa couleur, doit combattre farouchement cette idéologie raciste, antisémite, haineuse et régressive.
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À la fin du XXe siècle, nous avions bâti avec précaution une société post-raciale, pour échapper définitivement aux monstruosités du nazisme. Nous ne nous vivions plus comme « blancs » mais comme êtres humains avant tout. Craignez-vous que, par une pirouette de l’histoire, ces mouvements néo-racialistes ne nous renvoient par retour de bâton aux « heures les plus sombres de notre histoire » ?
J’invite chacun à raison garder. La raison est ce qui nous fait humains. Il faut combattre la haine, sans désemparer, mais sans choir au niveau de son adversaire. « Je fais le rêve que mes quatre enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés par la couleur de leur peau, mais par le contenu de leur caractère. » Martin Luther King, 1963.