L’histoire officielle de la conquête espagnole, notamment sur le volet des alliés indiens aux conquistadors, est toujours en débat dans le pays.
Tlaxcala est le plus petit État du Mexique. Mais c’est aussi celui qui cristallise le plus les passions en Amérique centrale.
Lorsqu’Hernán Cortès débarque sur les côtes de Veracruz avec ses troupes en 1530, les indiens tlaxcalans vont d’abord lui résister farouchement avant de se rallier à lui, impressionnés par sa supériorité militaire. Depuis cette date, le ressentiment à leur égard perdure. À l’occasion du 500e anniversaire de la conquête espagnole, plusieurs historiens locaux ont réclamé que le Mexique revoie son histoire de manière moins dualiste et que cesse cette discrimination historique envers les différents peuples indiens qui ont collaboré avec les conquistadors.
Espoir de changement des mentalités
Il existe une lecture de l’histoire hispanico-aztèque à deux vitesses au Mexique. Évoquer l’épisode de la Malinche est, par exemple, un souvenir douloureux qui subsiste dans le subconscient national. Baptisée sous le nom de Doña Marina, de son vrai nom Malinalli, elle devient la traductrice et l’amante d’Hernán Cortès à qui elle donnera un enfant créole au destin tragique. Aujourd’hui le terme « malinchismo » est passé dans le langage courant et devenu un synonyme de trahison que l’on applique régulièrement aux descendants des indiens qui se sont alliés aux conquistadors dans leur conquête de l’empire aztèque. À commencer par les tlaxcalans. « Ce ne sont pas seulement 600 à 800 Espagnols qui ont conquis [Tenochtitlán] mais des milliers de Tlaxcalans, Huejotzingas ou d’autres peuples, qui étaient sous le joug des aztèques et qui voulaient s’en libérer » rappelle à juste titre l’archéologue Eduardo Matos Moctezuma. Yassir Zárate Méndez a produit un documentaire remettant en question le traitement de l’histoire officielle de Tlaxcala. Pour cet écrivain, « Tlaxcala avait une forme de leadership plus collective, et lorsque Cortés est arrivé, certains dirigeants ont vu une opportunité de renverser un vieil ennemi ». « C’était une question de survie politique. Pour vous sauver, vous deviez vous tourner vers tous les alliés nécessaires » ajoute-t-il. Durant la période coloniale et en retour de sa fidélité, l’état de Tlaxcala a reçu le droit de rester autonome. Il en a payé le prix à l’indépendance.
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L’Institut national d’histoire et d’anthropologie (INAH), qui a organisé des forums à Tlaxcala explorant le rôle local des amérindiens dans cette conquête, reste pourtant confiant. Selon les organisateurs, les colloques ont suscité un intérêt national nouveau et inédit permettant un espoir de changement des mentalités. Juan de la Rosa, délégué del’INAH à Tlaxcala, a expliqué qu’il était de temps de mettre fin à ce manichéisme ambiant et de donner aux Tlaxcalans tous les « arguments qui expliquent pourquoi ils ne sont pas des traîtres et qui permettent de leur enlever cette épine lancinante qu’ils ont gardé en eux ». Une image qui leur colle à la peau quand ils passent d’un etat à un autre comme l’explique dans une de ses éditions le Guardian.
Traumatisme et acte fondateur
La conquête espagnole est considérée dans l’histoire mexicaine, à la fois comme un moment de traumatisme national et l’acte fondateur de la nation. Mais qui reste aussi profondément controversé. L’année dernière, le président (de gauche) Andrés Manuel López Obrador n’a pas hésité à appeler la Couronne espagnole et le Vatican à s’excuser pour leur implication dans ce chapitre de l’histoire nationale. Si l’Espagne a catégoriquement refusé de le faire, le représentant du Vatican a eu moins de scrupules puisque le pape François a récemment demandé « pardon » pour les crimes commis par les conquistadors. Une posture nationaliste de la part d’Obrador qui n’a pas été du goût du descendant de l’empereur aztèque Moctezuma II. « Cela m’a vraiment mis mal à l’aise de constater que la figure de mon ancêtre soit utilisée à des fins politiques. Cela n’a aucun sens de demander au roi [d’Espagne-ndlr] de demander pardon pour quelque chose qui s’est passé il y a cinq siècles (…) » a expliqué José Juan Marcilla de Teruel-Moctezuma au quotidien madrilène ABC. À Tlaxcala, on attend que le gouvernement mette fin à cet ostracisme anachronique. Mais « au Mexique, ils ont malheureusement pris l’habitude de s’occuper davantage des Indiens morts que des vivants » regrette le duc de Tultengo, prétendant à la couronne impériale de l’empire aztèque…