Vestige de l’empire britannique, ce conglomérat de médias publics se porte bien. Mais l’auguste institution fait de plus en plus de mécontents. Salaires mirobolants, scandales sexuels, partialité éditoriale, propagande wokiste… Conséquence : des milliers d’Anglais ne veulent plus payer la redevance.
La British Broadcasting Corporation joue un rôle unique au sein de la vie politique, culturelle et éducative du Royaume-Uni.Que ce soit par la télévision, la radio, des services en ligne, des publications papier ou les ventes de DVD, ce conglomérat médiatique, dont le statut de droit public est défini par une charte royale, poursuit les trois objectifs de sa devise : « Informer, instruire et divertir ». Au pays de Sa Gracieuse Majesté, la BBC domine l’actualité mais, grâce à la langue anglaise et à des émissions dans de nombreuses langues étrangères, elle atteint une audience hebdomadaire de près de 460 millions de personnes dans le monde. Fondée en 1922, alors que la puissance impériale britannique était à son apogée, elle apparaît comme le fantôme de cet empire et constitue toujours un instrument du soft power de la Grande-Bretagne. Elle représente un élément essentiel de l’identité nationale, ayant servi à unifier le pays aux moments des grandes crises, notamment au cours de la guerre de 39-45, où elle a retransmis les discours de Churchill – sans parler de l’appel du 18 juin. Pendant le premier confinement, un tiers de la population suivait chaque soir ses bulletins sur la pandémie. Pionnière dans la production de fictions télévisées, elle continue à les vendre à travers le monde. Ses adaptations de Shakespeare et d’autres classiques sont utilisées dans les écoles. Elle finance ses propres orchestres et organise chaque été deux mois de concerts classiques quotidiens. Avec plus de 35 000 salariés permanents ou temporaires, la BBC a des revenus de presque 5 milliards de livres, dont les trois quarts proviennent de la redevance et le reste de la vente de ses produits et services. Qui oserait s’attaquer à un tel mastodonte ?
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David contre Goliath
Le soir du dimanche 7 juin 2020, James Yurcel, étudiant à Glasgow, est dans sa chambre universitaire quand il décide qu’il en a marre de subventionner une organisation qui gaspille son argent tout en favorisant les opinions antipatriotiques des élites londoniennes. Il crée sur Twitter le compte @DefundBBC (« coupez-lui les vivres ! ») pour appeler à la dépénalisation du non-paiement de la redevance. À 8 heures le lendemain matin, il a déjà 20 000 suiveurs. Deux mois plus tard, il a récolté 60 000 livres qui financent une campagne d’affichage attirant l’attention du public sur les salaires annuels exorbitants – parfois plus d’un million de livres – des animateurs vedettes de la BBC. Le relais est vite pris par la presse tabloïde et d’autres médias favorables au Brexit qui reprochaient déjà à la BBC sa partialité sur le référendum de 2016.
La campagne de Yurcel canalise une véritable colère populaire, notamment chez les membres des classes ouvrières qui ont largement voté pour Boris Johnson en 2019 et considèrent que la BBC fait preuve de mépris à l’égard de leurs valeurs. Certes, depuis longtemps la BBC est accusée par la droite de favoriser la gauche et vice versa, mais désormais le problème dépasse les clivages politiques pour toucher l’identité même de la majorité des citoyens. Comme l’a dit un de ses journalistes les plus distingués, Peter Sissons, en 2011, la BBC favorise le Parti travailliste, les Nations unies, l’Union européenne, l’islam et les minorités ethniques. La campagne @DefundBBC est aussi alimentée par une crise de confiance provoquée par certains scandales. Après la mort de l’animateur vedette, Jimmy Savile, en 2011, des centaines d’accusations d’abus sexuels sur mineures, portant sur une période d’une soixantaine d’années, ont fait surface. Il était évident qu’une forme d’omerta à la BBC l’avait protégé de son vivant. Plus récemment, on a appris qu’un des journalistes les plus en vue de la maison, Martin Bashir, avait eu recours en 1995 à des mensonges et à des documents falsifiés pour manipuler cruellement la princesse Diana et lui extorquer une interview qui a provoqué un scandale royal. Non seulement la BBC a dissimulé les méfaits de Bashir mais, en 2016, elle a fait de lui un correspondant spécial pour les questions… religieuses. Si ses dirigeants sont obligés aujourd’hui d’offrir des excuses pour les défaillances passées de leur organisation, la déception du public est à l’aune de la confiance qu’il avait autrefois en elle.
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La « BolshevikBroadcasting Corporation » ?
L’air de supériorité morale des animateurs de la BBC s’incarne dans la présentatrice vedette de son émission politique phare, « Newsnight ». Au printemps 2020, Emily Maitlis (salaire annuel : 260 000 livres), ouvre l’émission par une diatribe contre la gestion de la pandémie par le gouvernement. Sa hiérarchie se sent obligée de la réprimander publiquement pour cette entorse à la neutralité, mais sa carrière n’est pas menacée. Un même sentiment d’impunité semble animer les deux présentateurs du journal matinal: interviewant un ministre par Zoom, en mars 2021, ils se moquent ouvertement du fait que son bureau est décoré d’un drapeau national (l’« Union Jack ») et d’un portrait de la Reine. @DefundBBC et d’autres critiques y voient un mépris des emblèmes traditionnels de l’identité nationale. Rebelote le mois suivant, quand la mort et les funérailles du prince Philip dominent la programmation : un formulaire posté sur le site de la BBC semble inviter le public à se plaindre de cette couverture « excessive ». Suite aux critiques formulées par @DefundBBC et des particuliers, le formulaire disparaît rapidement. Guère surprenant donc qu’un député conservateur ait qualifié la BBC de « BolshevikBroadcastingCorporation. »
Elle est devenue une véritable machine de propagande woke. Les productions vont le plus loin possible dans la diversité. La célèbre série de science-fiction, Dr Who, une émission pour enfants, met en scène une lesbienne dans une relation amoureuse, non seulement interethnique, mais interspéciste, puisque sa partenaire est une femme reptilienne. Les publications sur l’histoire ont pour objectif de convaincre les Britanniques que des communautés importantes de Noirs sont implantées depuis des siècles à Liverpool, que les mineurs du Yorkshire pratiquaient l’homosexualité avec l’approbation de leurs épouses, et qu’il y a toujours eu des hommes et des femmes transgenres. Ainsi l’histoire même du pays est en train d’être réécrite par l’organisation censée l’enseigner.
Quel est le succès de la campagne de @DefundBBC ? Le gouvernement a résisté à la demande de changer le modèle économique qui sera maintenu jusqu’en2027, mais il a nommé à la tête de la BBC deux hommes affiliés au Parti conservateur. Cela suffira-t-il à inverser la tendance ultra-progressiste ? La BBC, si longtemps l’émanation même de l’identité nationale, est désormais le champ de bataille d’une lutte pour la survie identitaire.