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Ouigo : un enterrement de troisième classe pour le service public


Ouigo : un enterrement de troisième classe pour le service public

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Finalement, ils l’ont fait. Nous vous en avions déjà parlé ici La SNCF, malgré ce qu’elle avait déclaré initialement, a été jusqu’au bout de son projet de TGV low-cost. À l’origine, le projet s’appelait Aspartam, comme le sucre qui n’est pas du sucre. C’était une bonne idée puisque le TGV low-cost ne sera pas vraiment un TGV. Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, donne à ces nouvelles bétaillères le nom de Ouigo. À notre connaissance, ce nom ne veut rien dire. On se demande qui trouve des appellations de ce genre, aussi très à la mode quand il s’agit de désigner des nouveaux modèles automobiles. Des ordinateurs, sans doute, vaguement aidés par des communicants qui doivent être bien payés, et ne voyageront donc pas en Ouigo, eux. Ou alors, à force de le répéter à haute voix, entend-on subliminalement « Oui, go ! », parfait exemple de novlangue réduite syntaxiquement à sa plus simple expression où les monosyllabes sont le premier pas vers le grognement.
En quoi consiste le projet Ouigo ? À entasser plus de monde pour faire baisser le prix du billet sur certaines lignes. Il serait question de quatre rames doubles à deux étages qui effectueront huit ou neuf trajets par jour entre Marne-la-Vallée-Lyon-Montpellier ou Marseille et pourront transporter 1.200 passagers chacune en classe unique, contre 1.000 pour une rame classique entre la première et la deuxième classe.
Le nivellement par le bas… C’est pas possible, ils sont toujours soviétiques à la SNCF ou quoi ? Ou bien, ils se préparent au contraire à la privatisation du rail ordonnée par Bruxelles, privatisation dont on sait déjà, par de multiples exemples européens, que dans des domaines comme le train, la poste ou l’énergie, elle a surtout entraîné une dégradation générale du service public, sauf pour les usagers, pardon les clients mettant le prix pour obtenir des prestations particulières qui étaient la norme auparavant : cherchez l’erreur.
Evidemment, comme nous sommes dans un monde réellement renversé, la régression est présentée comme un progrès. À la limite, Guillaume Pepy nous tirerait des larmes : c’est un train social, le Ouigo. Sans rire. Il a déclaré : « Il faut que la SNCF aide les Français à voyager moins cher. » Le billet coûtera 25 euros. Les mauvais esprits font déjà remarquer qu’il faudra tout de même se rendre à Marne-la-Vallée mais on peut imaginer, dans le monde des gentils Mickey de la paupérisation programmée et aménagée du peuple français,  que la ville où se trouve Disneyland fera une excellente capitale low-cost pour la France de demain. Faire embarquer le prolo depuis une gare périphérique fait aussi réaliser à peu près 30% d’éconocroques à la SNCF car il n’y aura plus de frais d’acheminement des rames sur les voies à grande vitesse : ils seront déjà là.  Evidemment, les Ouigo auront leur design à eux. Un joli bleu ciel, un peu acide d’après les premières photos disponibles.
Les syndicats de cheminots, ces emmerdeurs, trouvent à redire. Pas de service à bord, un seul bagage sinon tu payes un supplément. Les syndicats ont néanmoins obtenu quelques concessions. À l’origine, il était prévu que les contrôleurs fassent le ménage entre deux rotations et prennent leur temps de pause à bord du train en marche. Quand j’avais lu que cette aimable proposition avait été envisagée, j’avais pensé à ces taxis de Pékin, où l’on voit parfois un chauffeur ouvrir le coffre de sa voiture, réveiller son collègue et prendre sa place pendant que l’autre se met à conduire. Bref, comme le dit l’UNSA, un « ersatz de TGV »
Ouigo est bien sûr un  symptôme. Celui d’un continent qui entre dans une nouvelle civilisation, sans jeu de mots, à deux vitesses. On a déjà plus ou moins une école low-cost avec un enseignement public réservé aux pauvres dans les quartiers. On va tranquillement vers une santé à deux vitesses avec la multiplication des assurances privées qui attendent le démantèlement du régime général pour se livrer au grand festin. Et on a manifestement déjà une bouffe à deux vitesses avec ceux qui mangent du cheval sans le savoir et ceux qui mangent des produits frais (cinq fruits et légumes par jour) en connaissance de portefeuille.
Ouigo est aussi le symptôme d’une société qui raisonne à l’envers en toute connaissance de cause. Plutôt que de se demander pourquoi les gens n’ont plus d’argent, on va faire avec. On réinvente la 3ème classe pour la SNCF, on généralise le discount, bref on vaseline l’existence d’un pays  qui compte 8 millions de pauvres, des working poors, et entre 3 et 5 millions de chômeurs qui, dans un grand élan patriotique pour respecter les 3% de déficit, ont actuellement tendance à se faire disparaître du paysage en s’aspergeant d’essence.
Alors que la seule question que l’on devrait encore et toujours se poser est la suivante : comment dans un pays riche, la part des salaires dans un PIB qui a explosé en trente ans a baissé de 10%, passant pour l’essentiel à la rémunération du capital et des dividendes ? Dans les années vingt, le train bleu était un train de luxe qui lui aussi menait vers la Méditerranée. Il ne partait pas de Marne-la-vallée. On y croisait Morand, Guitry, Cocteau. Il était beau, on aurait pu y réciter les vers de Larbaud :

« Prête-moi ton grand bruit, ta grande allure si douce,
Ton glissement nocturne à travers l’Europe illuminée,
Ô train de luxe ! »

Assez ironiquement, le Train Bleu sera maintenant le Ouigo. On m’objectera que jamais les pauvres n’auraient pu espérer prendre le Train Bleu. On répondra que longtemps notre projet de civilisation a été le luxe pour tous dans tous les domaines. Et que Ouigo est le symbole même du renoncement à cette utopie.

*Photo : protohiro.



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