Il ne faut pas se fier aux apparences : le discours de François Hollande devant le Parlement européen ne gêne en rien Angela Merkel, bien au contraire. Les décrypteurs habituels ont cru déceler dans les propos du président français une critique de la chancelière, qui ferait alliance avec David Cameron pour mettre le budget de l’Union européenne à la portion congrue. Certes, il a pourfendu sans concession les dogmes germaniques : il a tonné contre l’incapacité de la BCE à conduire une politique de change dynamique (entendez mettre fin à l’euro fort, handicap pour la compétitivité des pays les plus fragiles de l’UE), et la réticence de l’Allemagne et ses alliés nordiques à relancer l’économie du continent par des investissements publics transfrontaliers dans les infrastructures, la recherche, l’instauration des eurobonds etc. À ces mâles propos, il ajoute une alliance de revers contre Merkel en mettant de son côté Martin Schulz, le président social-démocrate allemand du Parlement européen. Ce dernier menace de faire censurer par le Parlement de Strasbourg[1. Le traité de Lisbonne donne désormais au Parlement européen le pouvoir de censurer le cadre budgétaire plurinannuel. C’est la première fois qu’il fera usage de cette nouvelle prérogative.] le cadre budgétaire pluriannuel européen actuellement en marchandage à Bruxelles si le compromis adopté se révélait trop chiche pour la majorité des eurodéputés.
Cette menace n’est pas une vaine rodomontade, car la majorité de droite du Parlement risque de se diviser à ce sujet sur des bases nationales. Ainsi, on a pu remarquer que l’UMP, par la voix de Laurent Wauquiez, a soutenu sans états d’âme la teneur des propos de Hollande, notamment sur la défense française de la PAC, alors qu’ Allemands, Britanniques et Néerlandais voudraient voir diminuer drastiquement les subventions européennes aux agriculteurs. Ces mauvaises manières faites à la chancelière interviennent alors que le débat préélectoral est lancé en Allemagne pour les élections au Bundestag de septembre prochain. C’est, dira-t-on, la réponse du berger à une bergère qui apporta, en mai dernier, un soutien appuyé à Nicolas Sarkozy dans son duel contre François Hollande.
Supposons que le Parlement européen parvienne à faire rajouter quelques milliards d’euros à ce projet de budget pour la période 2014-2020, en dépit de l’opposition de la CDU-CSU. La chancelière et ses alliés libéraux se présenteraient alors comme le rempart d’une Allemagne dont la cassette bien garnie serait menacée par les cigales d’Europe du Sud et de l’Est, avec la complicité du SPD et des Verts. Lorsque l’on connaît l’état de l’opinion publique d’outre-Rhin sur ces questions, et l’absence, en Allemagne, d’un parti populiste susceptible de capter les voix des europhobes, on doit en conclure que la charge de Hollande n’est pas de nature à faire perdre le sommeil à Mme Merkel et ses amis, bien au contraire. La méthode Sarkozy était toute différente : elle consistait à « coller » à l’Allemagne sur les principes généraux, pour obtenir des concessions conjoncturelles au coup par coup, comme le rachat des dettes pourries de la Grèce par la BCE ou la prolongation pour deux ans du programme européen d’aides au plus démunis, bête noire d’une Allemagne qui l’avait fait condamner en 2011 par la Cour de justice européenne comme contraire à la lettre des traités[2. Le programme d’aide aux plus démunis a été mis en place dans les années 90 pour attribuer aux plus pauvres les surplus agricoles générés par la PAC. Ces surplus ayant disparu, les subsides aux associations de lutte contre la pauvreté ont été pris en charge par l’UE, en contradiction avec les traités qui réservent la politique sociale à l’échelon national. La France, L’Italie et la Pologne sont les principaux bénéficiaires de ces fonds.].
La manœuvre de Hollande est donc audacieuse, mais bordurer l’Allemagne et ses alliés en coalisant contre eux l’Italie, l’Espagne et la Pologne est moins facile que repousser les jihadistes dans les sables du désert. Le Traité de Lisbonne permet en effet de constituer des minorités de blocage en rassemblant au moins quatre pays et 35% de la population des 27 (bientôt 28 avec la Croatie) pour s’opposer à tout projet jugé nuisible aux intérêts nationaux des pays concernés. Modifier le statut de la BCE, par exemple, en l’autorisant à se comporter en matière de change comme la Fed américaine ou la banque centrale japonaise, verrait immédiatement Merkel et la Bundesbank monter au créneau avec les Néerlandais, les Finlandais, les Autrichiens et les Slovaques. Le pari d’une victoire électorale du SPD et de ses alliés Verts en septembre prochain ne garantit même pas que la conception « hollandaise » d’une Union européenne interventionniste en matière économique soit en mesure de l’emporter.
L’Allemagne n’est pas un pays où les changements de majorité se traduisent par des virages à 180° dans l’orientation générale de la politique nationale. On ne peut donc gouverner la République fédérale contre les tendances lourdes de la société, contre les intérêts de son industrie, et ses choix stratégiques dans le domaine de l’énergie, de la défense, des alliances extérieures dont le partenariat avec la Russie constitue la pierre angulaire. Et dans tous ces domaines, les convergences du SPD avec la CDU/CSU sont plus évidentes, quoique plus discrètes, que celles affichées avec le PS français.
*Photo : Statsministerens kontor.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !