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Z comme Logos

Il est remarquable que peu à peu le mot « rhétorique » se soit chargé de connotations péjoratives...


Z comme Logos
Eric Zemmour à Nice, 18 septembre 2021 © SYSPEO/SIPA Numéro de reportage : 01038949_000026

Le phénomène Eric Zemmour témoigne du retour bienvenu de la rhétorique. Pour que l’électeur français retrouve le chemin des urnes, qu’on abandonne la com’, et qu’on lui parle de la France !


Je veux bien tout ce que vous voulez sur Eric Zemmour, son idée fixe sur les causes de la décadence française, son obsession ethnique, son islamophobie et le fait qu’il se prend peu à peu pour Moïse, le Bon Dieu, le Sinaï en une seule personne — en sus d’être la réincarnation de Mon Général. C’est un ami et il ne s’offusquera pas de ce que je vais écrire.

Ce qui le caractérise, au-delà des idées, ce qui fait sa différence vis-à-vis des politiques qui tiennent le haut des tribunes depuis des années, c’est sa maîtrise de la langue en général, et de la rhétorique en particulier. Son débat contre Mélenchon, dont tous deux, à mon sens, sont sortis vainqueurs, non vis-à-vis de l’autre mais face à tous les absents qui prétendent être quelqu’un, a marqué le retour de la langue française, fort bien maîtrisée par le vieux tribun qui se veut la réincarnation de Robespierre et par le journaliste qui se prend pour Bernanos, Henri Rochefort et Léon Daudet en une seule personne.

Com’ et bien parler

C’est ce que Christophe de Voogd, Normalien et agrégé comme il en est d’autres, à commencer par l’auteur de ces lignes, appelle dans un article du Figaro « le retour de la rhétorique ».

La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer…


Il est remarquable — et typique de notre époque dégénérée — que peu à peu le mot « rhétorique » se soit chargé de connotations péjoratives. Les érudits y trouveront un écho de la condamnation des « rhéteurs » par Platon sous l’identité de Socrate, mais j’y vois surtout le triomphe des demi-habiles, de cette secte journalistiquée qui croit que la « com’ », comme ils disent, l’emporte sur le bien parler.

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Aristote appelait cela le Logos. C’est l’architecture langagière qui discipline le Pathos (la passion) afin de promouvoir l’Ethos — la morale, ou si vous préférez un langage plus contemporain, les positions politiques : au sens aristotélicien, ce qui concerne la vie de la cité.

On a voulu faire croire aux politiques, recrutés décennie après décennie parmi les plus nuls des postulants à la Chose Publique, fourgueur d’assurances ou avocate sans causes, qu’il suffisait de saupoudrer son discours de mots « attendus », enrobés de clins d’œil un peu vulgaires afin de plaire aux masses, notoirement inéduquées par la grâce d’un système scolaire défaillant, pour com’vaincre les électeurs. C’est si faux que lesdits électeurs ne se rendent plus aux urnes, peu disposés à accorder leur voix à des individus passablement médiocres.
Parce que la ruse suprême de la com’ — écoutez bien, c’est là que se révèle la pauvreté de ces Grands Com’muniquants — est d’accorder un peu de tout à tout le monde, de saupoudrer son discours de formules creuses tout en lorgnant vers le Centre, où se gagnent, croient-ils, toutes les élections. La Com’, c’est le « en même temps » généralisé. 

Il arrive que ça prenne quelque temps, mais comme disait Lincoln, « you can fool some of the people all of the time, and all of the people some of the time, but you cannot fool all of the people all of the time». Autrement dit, couillon un jour, mais pas couillon toujours.

Une agression massive plutôt qu’un suicide

C’est le cœur de la stratégie zemmourienne, et je vous fiche mon billet que les com’currents du journaliste imprécateur vont avoir du mal désormais. La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer — mouvements de menton du Phénix des Hauts-de-France, ou discours technocratique de ceux qui croient que comme disait James Carville, l’inspirateur de la campagne de Clinton en 1992, Clinton, « it’s the economy, stupid ! » Eh non, ce n’est pas d’économie que les Français veulent entendre parler. C’est de la France, des menaces qui planent (et qui ces temps-ci plongent en piqué) sur notre langue et notre culture, de la dégradation du système scolaire, de la sécurité, de l’emprise islamique, effectivement (que la gauche et une bonne partie de la droite aient si longtemps refusé de nommer le problème leur sera reproché dans les siècles des siècles) et du malaise français qui est, à vrai dire, le produit d’une agression massive bien plus qu’un « suicide ». Nous voici éparpillés façon puzzle en com’munautés antagonistes. Les politiciens qui croient ingénieux de donner à chacun sa pitance en éparpillant des mots-clés dans leurs harangues devraient y réfléchir à deux fois : ça ne prend plus. On ne se vend pas la France comme on vend des cravates.

C’est ce qu’a compris Zemmour : il se propulse en avant, derrière le bouclier d’une langue globalement fort bien servie par des dons d’orateur et une longue habitude du one man show. Ses prestations sur CNews obéissent à une structure immuable, qui est celle du cours magistral — et pas du sacro-saint dialogue, comme si le dialogue était l’alpha et l’omega de la com’munication.

Bouleversements en vue

Communiquer, ce n’est pas se mettre à l’écoute de l’autre et lui servir la soupe qu’il souhaite. Communiquer, c’est l’emporter sur l’autre, c’est le faire taire, l’acculer au silence. Zemmour excelle dans l’exercice, qui était le cœur des stratégies à l’œuvre dans la démocratie grecque — voyez Démosthène.

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Et pour l’emporter, il faut assommer l’interlocuteur sous le flot de son éloquence — le Logos appuyé sur un soubassement culturel solide. Celui de Zemmour, à notre époque toute pleine de petits génies sur-évalués, est bien suffisant — même s’il fait parfois sourire les êtres réellement cultivés — pour enfoncer n’importe lequel des candidats à la présidence. Nous sommes si sevrés de culture, en particulier littéraire et historique, que le premier histrion qui maîtrise les références de l’Ecole primaire des années 1950, ou de Sciences-Po des années 1970, passe très vite pour un génie.

Peut-être le soulèvement massif des minables qui orchestrent la com’ via les médias, et organiseront prochainement le boycott du phénomène s’il se révèle vraiment dangereux, aura-t-il raison du polémiste qui est en train de se forger une stature nationale. Dangereux à court terme, Zemmour ne l’est pas, il fera réélire Macron encore plus sûrement que Marine Le Pen. Mais à moyen terme — l’élection de 2027, qui est à mon sens la vraie cible de ceux qui aujourd’hui restent dans l’ombre, Marion Maréchal ou Laurent Wauquiez, et qui l’un et l’autre ont des affinités avec la combinaison Pathos / Logos / Ethos —, le surgissement d’un tribun annonce toujours, en France et ailleurs, de grands bouleversements, qu’ils aient lieu dans les urnes ou sur la place de la Révolution.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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