Un renégat pour certains, un Totem pour d’autres: choisis ton camp camarade.
Un futur président juif en France ? Un juif qui en plus, n’aime pas qu’on le saoule avec des histoires de juifs, et que certains qualifient d’extrême droite ? Il ne manquerait plus qu’il soit new-yorkais, pour se croire au cœur d’une nouvelle de Philip Roth !
Non, ici l’affaire n’est pas romanesque, mais elle n’en passionne pas moins la société juive à qui l’histoire a appris à garder un œil sur les bouleversements de l’époque. L’histoire lui a façonné un instinct naturellement inquiet, qui frise parfois avec la paranoïa et qui l’enjoint à constamment s’inquiéter de sa sécurité. Or depuis que les indices se multiplient en faveur d’une candidature du trublion à la magistrature suprême, la communauté se déchire. Est-ce bon pour « nous », se demande-t-elle. Et bien entendu ce « nous » se divise sur la réponse. La communauté s’affronte par le biais de courants antagonistes, selon une logique résumée par cette blague bien connue qui dit qu’avec deux juifs émergent trois avis différents.
Depuis plusieurs semaines, à la fin de la prière dans les synagogues consistoriales, la confrontation des idées tourne à l’affrontement voire à l’insulte. Au « T’as pas honte ? Tu veux voter pour un pétainiste ?! » s’oppose un « Zemmour est notre sauveur, celui que Dieu a mis sur notre route pour nous défendre ! ». Un renégat pour certain, un Totem pour d’autres : choisis ton camp camarade.
Un espoir pour les Juifs des quartiers «sensibles»?
Pour beaucoup de juifs séfarades issus des milieux populaires, ceux qui vivent dans des communautés de banlieues bunkérisées et pour qui l’antisémitisme arabo-musulman n’est pas une abstraction, Zemmour incarne « la dernière chance » avant l’exil. Un rempart à la disparition, la perspective d’une vie nouvelle possible qui vaut bien de fermer les yeux sur quelques excès. Avec un homme comme lui au pouvoir, la fuite en Israël ne serait plus un horizon indépassable, y compris pour ceux qui n’ont pas les moyens d’emménager dans des quartiers huppés parisiens. Par son constat implacable de l’islam intolérant, le « Z » s’en prend par ricochet au principal vecteur d’antisémitisme en France : l’islamisme.
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Cette réalité du nouvel antisémitisme est incontestablement documentée mais largement sous-estimée par une élite qui préfère feindre la surdité que d’écorcher la mythologie vivre-ensembliste.
L’historien Georges Bensoussan a vécu quatre ans d’enfer judiciaire après avoir dénoncé cette réalité dans l’émission de radio Répliques sur France Culture. Il le raconte dans son nouvel ouvrage : Un exil français. Aucune réponse n’a pour l’heure permis d’endiguer ce mal, alors pour certains, Zemmour, pourquoi pas ? En évitant soigneusement la question communautaire, l’essayiste promet de s’attaquer à la maladie de l’islam au nom de l’idéal français. Il en était de même lors de la publication de son livre Petit frère, sur le meurtre du jeune juif Sebastien Sellam, qui appelait à mettre en lumière des dysfonctionnements modernes plus globaux.
Un ennemi à abattre
Zemmour fuit le communautarisme et la communauté le lui rend bien : pour nombre d’organisations, le séfarade est une bête d’extrême droite, un juif honteux voire antisémite, proches de ceux que l’on décrit en Allemagne avant les années vingt, pour qui le désir d’assimilation était tel qu’il frisait avec la haine de soi. Le 20 septembre dernier, le Crif publie un billet intitulé « Zemmour : la double peine des juifs français ». Cinq jours plus tard, le président du Fonds Social Juif Unifié affirme sur Twitter avoir honte d’être de la même religion que lui et l’ Union des étudiants juifs de France annonce avoir de nouveau saisi la justice après que celui-ci ait réitéré ses propos sur Pétain dans une émission de télévision. Les organisations sont vent debout contre l’homme qui culpabilise les familles des élèves d’Ozar Hatorah d’avoir enterré les défunts en Israël après la tuerie de Merah et qui reprend à son compte la lecture de l’historien Alain Michel sur Pétain, à savoir, que celui-ci a « sauvé » les juifs français. Il est l’homme qui veut abroger la loi Pleven, réduire l’arsenal législatif de toutes les communautés, religieuses, ethniques, sexuelles etc.
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Zemmour est un ennemi à abattre avec lequel on ne débat pas : en 2016, le Grand Rabbin Gilles Bernheim s’était attiré les foudres en acceptant d’affronter Eric Zemmour sur le thème « Qu’est-ce qu’être Français et Juif aujourd’hui ? » dans l’enceinte de la synagogue de la Victoire à Paris. Le rabbin avait reçu des pressions de la part de membres du Consistoire central pour faire annuler cette rencontre « scandaleuse » avec celui dont on dit qu’il fait l’« apologie de Vichy » et qui manifeste dans ses écrits « du mépris à l’égard des institutions juives ». Mais les mille deux-cents places de l’emblématique lieu de culte s’étaient vendues en quelques heures et Bernheim n’est pas du genre à se défiler à la dernière minute.
Zemmour, le juif anti-communautaire
Ce soir-là, je suis dans l’assistance avec un carnet de notes. Issu d’une famille juive algérienne, d’une classe populaire, Zemmour croit en l’émancipation par la culture. Il réaffirme son affiliation à la tradition de l’« israélitisme » née dans le sillage de la Révolution, qui prône l’alliance des valeurs de la République et du judaïsme, celui qui permit de faire émerger des générations de juifs patriotes au service de l’Etat français : c’est selon cet idéal que tant de juifs sont morts pour la France pendant la première guerre mondiale. Elle affirme que l’on assimile des individus et non des peuples selon la formule célèbre de Clermont-Tonnerre, c’est-à-dire que les appartenances peuvent être intimes et personnelles, mais pas communautaires. A l’heure de la société de la transparence, il croit encore en la distinction entre la sphère publique et privée et la religion pour lui est une affaire privée. Sur le plan religieux, il se définit comme pratiquant mais pas croyant, fidèle à cette religion typique de l’orthopraxie qui met la pratique au cœur du lien avec le divin, plutôt que la foi comme dans le christianisme.
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L’homme qui refuse les étiquettes, la pression des groupes, le sérail, s’est toujours gardé de montrer de reflexes tribaux. En 2016, il provoque un scandale après une chronique sur RTL au cours de laquelle il raille le chanteur franco-israélien Amir qui représente la France à l’Eurovision avec sa chanson « J’ai cherché » qui, il faut le dire, est à la musique ce que Netflix est au cinéma. Mais ce que l’essayiste lui reproche d’abord c’est « son prénom arabe » et « son refrain en anglais » : un nouveau tacle aux communautaires pour réaffirmer sa liberté et son indépendance ? (Alors qu’Amir est également un prénom israélien NDLR…) Une façon de montrer patte blanche et son détachement au collectif ? Nous comprenons bien que, quoi qu’il en soit, Zemmour n’est pas du genre à danser sur de la musique orientale pendant les mariages comme il est de coutume chez les séfarades.
Alors Zemmour, est-il un rempart ou une tache sur l’image des juifs de France ? Ce qui est certain, c’est que ses racines lui seront toujours rappelées. Si aux yeux de certains il n’est pas suffisamment juif, pour d’autres il ne restera à jamais que cela. Lors de son déplacement à Nice pour rencontrer son public, une poignée d’antifas ont scandé « Zemmour, sioniste, rentre dans ton pays », comme le rapportent des témoins sur place. « Sioniste », lui qui prend toujours soin d’éviter de parler d’Israël, la formule a de quoi faire sourire et réfléchir.
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