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Le Z et l’hologramme

Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour ont débattu hier soir pendant deux heures


Le Z et l’hologramme
De gauche à droite: Jean-Luc Mélenchon, Maxime Switek, Aurélie Casse et Eric Zemmour, le 23 septembre 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22608460_000001

Le débat télévisé opposant Eric Zemmour à Jean-Luc Mélenchon a permis aux téléspectateurs de prendre connaissance de deux projets pour la France antinomiques. Malgré un fact-checking journalistique douteux, l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot a enchaîné les démonstrations convaincantes. S’il se présente à l’élection présidentielle, il sera un candidat redoutable.


Difficile de résumer fidèlement en quelques lignes deux heures d’affrontement verbal. Plutôt qu’une liste à la Prévert de sujets abordés et de citations plus ou moins percutantes, voici donc une vision d’ensemble de ce qui est, d’une manière ou d’une autre, le premier véritable débat de la campagne présidentielle.

Une opposition claire, frontale, assumée

Les deux hommes ont en commun d’avoir identifié un problème à leurs yeux majeur, une menace existentielle pesant sur la France, et d’organiser tout leur projet politique autour d’un impératif absolu : faire face à cette menace. La submersion migratoire et islamique pour Eric Zemmour, la submersion par la montée des eaux pour Jean-Luc Mélenchon.

Ils ont aussi en commun d’avoir chacun « une certaine idée de la France » qui ne se réduit pas à une approche gestionnaire et comptable, quoi que ces idées soient radicalement différentes. La France éternelle pour Zemmour, la République née en 1789 pour Mélenchon. En découlent l’éloge de l’assimilation par Zemmour, et celui de la créolisation par Mélenchon.

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Tous deux assument leurs positions passées, mais là encore de manière diamétralement opposée : Eric Zemmour se flatte de sa cohérence, Jean-Luc Mélenchon se vante de savoir changer d’avis. Ils ont enfin en commun d’avoir été confrontés à un « fact-checking » d’une nullité crasse, BFM TV ayant accumulé des erreurs si grossières qu’il est difficile de ne pas y voir des mensonges éhontés et orientés.

Hervé Le Bras, un très curieux fact-checkeur!

Commençons par BFM. Un parti-pris manifeste, contre Zemmour plutôt que pour Mélenchon, affiché sans aucune pudeur dans les discussions navrantes qui précédèrent le débat – il faut bien mettre le téléspectateur en condition.

Sur l’immigration, le « fact-checking » reprend tels quels les éléments de langage d’Hervé Le Bras, dont Michèle Tribalat et l’Observatoire de l’Immigration et de la Démographie ont pourtant méthodiquement démontré et démonté la fourberie.

Quand Jean-Luc Mélenchon évoque – et il a raison – les personnes qui renoncent à s’éclairer ou se chauffer l’hiver en raison du coût de l’électricité, on lui rétorque : « trêve hivernale », pas de coupures d’électricité en hiver. Il fallait être profondément malhonnête ou totalement stupide pour ne pas comprendre que Mélenchon parlait de gens qui renoncent d’eux-mêmes à s’éclairer ou se chauffer correctement pour ne pas se retrouver en incapacité de payer, et non de personnes à qui on couperait l’électricité. Eh oui, il y a aujourd’hui en France, et notamment dans les zones rurales, des personnes qui en hiver ne chauffent qu’une seule pièce de leur maison – ce qui provoque parfois des ruptures de canalisations en cas de gel – et réduisent leur consommation d’énergie à moins que ce que la plupart appelleraient « le strict minimum ».

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Bataille de chiffres

Quand Eric Zemmour cite les chiffres de Charles Prats sur la fraude sociale – 50 milliards d’euros par an – BFM prétend s’appuyer sur un rapport de la Cour des comptes pour affirmer qu’il ne s’agirait en réalité que d’1 milliard d’euros, insistant soigneusement pour dire que ça fait « 50 fois moins ». Fact-checkons les soi-disant fact-checkers : ce milliard correspond uniquement à la fraude clairement identifiée, et la Cour des comptes elle-même estime que la fraude non détectée se chiffre entre 14 et 45 milliards d’euros.

Manque d’objectivité flagrant et accumulation de contre-vérités : une chose au moins est certaine, BFMTV n’était pas totalement à la hauteur des enjeux d’un tel face-à-face.

Marche contre « l’islamophobie ». De gauche à droite, Jean-Luc Mélenchon, Farida Amrani et Danièle Simonnet de la France Insoumise © NICOLAS CLEUET / HANS LUCAS / AFP

Du débat lui-même, l’essentiel se réduit à ceci : Jean-Luc Mélenchon, au mépris de l’évidence et des faits, nie toutes les problématiques dont la prise en compte l’obligerait à remettre en cause ses présupposés idéologiques – et sans doute clientélistes, la manif de la honte du 10 novembre n’est pas loin…. À l’inverse, Eric Zemmour assume ses priorités, mais hiérarchise les autres problématiques sans jamais les nier ni les perdre de vue : avoir une vision d’ensemble ne l’empêche pas de trancher et de décider. Aveuglement d’un côté, courage de l’autre.

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Déni mélenchonien : il n’y aurait pas de sexisme dans les banlieues, les causes de la délinquance seraient uniquement sociales et non culturelles (il gagnerait à lire Maurice Berger au lieu d’insulter les vrais pauvres), ou encore « en France, la religion républicaine est respectée par tout le monde. » Manifestement pas par les auteurs des plus de 40 000 menaces de viol et de mort reçues par Mila, ni par les juges puisqu’un tribunal vient de considérer qu’appeler publiquement à la haine des Juifs est parfaitement légal si c’est fait au moyen de citations d’un texte religieux (présentées sans la moindre distance critique). Dommage (mais pas surprenant) que les « fact-checkers » ne l’aient pas relevé…

Les idées de Zemmour en progression

En outre, Eric Zemmour est cohérent, alors que Jean-Luc Mélenchon s’emmêle dans ses contradictions. Trois cas pour l’illustrer : Mélenchon affirme vouloir lutter contre le rejet de CO2 dans l’atmosphère et pourtant veut « sortir du nucléaire » (alors que la situation catastrophique de l’Allemagne en termes de rejets de carbone suffit à démontrer l’absurdité d’une telle posture, ce que Zemmour a parfaitement compris). Il prétend que la France doit s’appuyer sur une autorité « morale, scientifique, culturelle » tout en appelant à la disparition de sa culture par la fameuse créolisation, qu’il illustre par l’exemple gallo-romain, dont la Guerre des Gaules nous apprend pourtant qu’il ne fut pas à proprement parler pacifique : répéter Alésia est-il le projet de Mélenchon pour le peuple français ? Et enfin : quelques secondes avant de faire l’éloge des mutazilites (en « oubliant » qu’ils ont tous été massacrés par les hanbalites il y a plus de mille ans) Jean-Luc Mélenchon déclare « ne dites pas qu’il y aurait des religions bienveillantes ! » Voici la non-violence du jaïnisme ramenée au niveau des sacrifices humains aztèques, on appréciera la pertinence de l’analyse.

Zemmour n’est toujours pas officiellement candidat. Pourtant, que l’on partage ou non ses convictions il faut bien admettre que ce sont ses thématiques qui se sont imposées dans le débat, comme elles s’imposent de plus en plus largement dans le débat public. Et ça, c’est déjà une première victoire pour lui.


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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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