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Inutiles et gilets jaunes: la perte de sens des réalités d’une partie de nos “élites”


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Paris, le 27 avril 2019 © LEWIS JOLY/JDD/SIPA Numéro de reportage: 00905391_000007

Bonnes feuilles de Dernière crise avant l’apocalypse (Editions Ring). Un extrait de l’essai de Jean-Baptiste Giraud et Jacques Bichot.


Une partie trop importante de nos élites ne comprend en réalité pas le monde dans lequel elles évoluent. Enfermées dans un cocon intellectuel et relationnel, elles sont incapables de concevoir comment vit un agriculteur, un épicier, un artisan, un postier ou un instituteur. La ruralité est un mystère intégral pour la majeure partie de nos dirigeants qui n’enfilent des bottes pour marcher dans la boue que le temps d’une photo et d’une tape sur la joue d’une vache ou… de son éleveur. Ils n’ont aucune idée des difficultés du quotidien qu’affrontent les « Français moyens ». Et comme ils ne remplissent pas un papier ou un formulaire web par eux-mêmes, ayant des gens pour le faire à leur place, ils n’ont évidemment aucune idée des conséquences de leurs décisions. Celles-ci transforment les relations avec l’administration en bras de fer ; les courriers comminatoires que les « services publics » envoient automatiquement aux citoyens constituent un harcèlement permanent. La phobie administrative qui résulte de cette maltraitance numérique s’exprime de diverses manières, dont les manifestations de « Gilets jaunes ».

La fable du prix du carburant

C’est la bêtise d’une grande partie de l’élite administrative, l’ignorance des réalités et le mépris dont font preuve de nombreux membres de cette nouvelle noblesse de robe, bien plus que l’augmentation des taxes sur le carburant, qui ont provoqué le mouvement des gilets jaunes. Tel est le grand handicap de beaucoup de ceux qui se considèrent comme appartenant aux élites : ils n’ont pas assez de sens commun pour être proches du peuple, ni assez d’intelligence pour le gouverner efficacement. 

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Pour une bonne part, ces soi-disant élites sont composées de personnes dont l’intelligence est somme toute modeste, mais qui ont eu la chance d’habiter dans une grande ville, d’aller dans un bon lycée, et de pouvoir faire les études supérieures qui procurent de bonnes situations dans l’administration. En réalité, les savoirs concrets de ces personnes à qui sont confiées, assez souvent, d’importantes responsabilités, sont modestes, quand on les compare à ceux des agriculteurs, artisans, ouvriers, techniciens, commerçants, postiers et autres habitants de nos zones rurales que la colère provoquée par des décisions maladroites a conduit à protester revêtus de gilets jaunes. Nos « élites », preuve parmi d’autres de leur ignorance ou de leur incompétence, ont notamment été incapables d’empêcher le parasitage des manifestations de gilets jaunes par des voyous, casseurs et voleurs opportunément cagoulés et insaisissables. Des criminologues et spécialistes des questions de sécurité se demandent d’ailleurs si cela n’a pas été fait exprès, justement pour discréditer les gilets jaunes, alors que l’opinion leur était très largement favorable : un signe qui ne trompe pas, preuve supplémentaire de la déconnexion des élites d’avec le peuple. 

L’ensauvagement bienvenu

Nos « élites » auto-proclamées se sont-elles réjouies en catimini de cet ensauvagement qui a dépossédé les gilets jaunes de leur mouvement de protestation contre la bêtise bureaucratique ? C’est possible, car cette sauvagerie leur a permis de ne pas tenir compte de la protestation, en grande partie justifiée, d’une population laborieuse confrontée à un monde qui change brutalement et les laisse sur le bord de la route, fermant les usines à tour de bras pour délocaliser à l’étranger, ubérisant sans état d’âme tout ce qui peut l’être. Un responsable du syndicat UNSA-Police n’a- t-il pas déclaré à propos des « casseurs » : « on était en mesure d’intervenir, on ne nous a pas autorisé à le faire ? » Pourquoi donc, si ce n’est parce que la chienlit arrangeait une classe politique incapable de répondre aux demandes légitimes de la partie de la population que représentaient les gilets jaunes ? 

Ainsi est traitée la « France périphérique », celle qui subit les conséquences de la méconnaissance des problèmes par les hommes politiques chargés pourtant de les anticiper, et tout au moins de les résoudre. L’affaire des gilets jaunes est typique du parisianisme de nos gouvernants, assez doués pour arriver au pouvoir, mais beaucoup moins pour l’exercer au profit de leurs « administrés ». 

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Jean-Baptiste Giraud, journaliste économique, est directeur de la rédaction d'Économie Matin qu'il a fondé en 2004, et chroniqueur sur RTL. Passé par Radio France, BFM, TF1, Atlantico et Sud Radio, il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages de vulgarisation scientifique et économique dont Combien ça coûte, combien ça rapporte (Eyrolles) et Les Grands esprits ont toujours tort (Éditions du Moment). Jacques Bichot, professeur émérite à l'université Jean-Moulin-Lyon III, docteur en mathématiques et en économie, est reconnu comme spécialiste des retraites, de la sécurité sociale et de la monnaie. Il a publié une vingtaine d'ouvrages, depuis Huit siècles de monétarisation (Economica) jusqu'à Cure de jouvence pour la Sécu (L'Harmattan). Il est chevalier de la Légion d'honneur.

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