Pour l’année du bicentenaire de la mort de Napoléon, cet Arc de Triomphe en pyjama propose très clairement aux Français de rejoindre leurs élus couchés depuis plus quarante ans devant la débilité de l’art contemporain et de s’enfoncer avec eux dans la nuit sans étoiles d’une nation sans repères. Tribune.
« Moins d’argent, plus de liberté ! » C’est avec ce slogan que, directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain d’Ile-de-France, j’obtins en 1985 de Michel Giraud, Président RPR de la Région, qu’il rompe avec le ministère Jack Lang et en refuse les crédits. Les financements croisés Etat/Région permettaient à l’administration de la rue de Valois de contraindre les régions à faire leurs courses dans les galeries à la mode. C’est d’ailleurs à cette condition que celles-ci avaient accepté de soutenir la politique du ministre. Aucune autre région ne suivit l’exemple de l’Ile-de-France.
La soumission à l’hégémonie culturelle de la gauche
Lors de la première cohabitation, le directeur de cabinet du ministre de la culture et de la communication me demanda une note pour réformer les FRAC dont les critiques dans l’électorat de droite allaient bon train. Très intéressé par les propositions que j’y faisais, le ministre la fit passer dans les services de son administration. Elle n’en revint bien sûr jamais. Le ministre n’en signa pas moins une tribune que son directeur de cabinet m’avait demandé pour répondre à Jack Lang. « Vous savez, on n’y connaît rien », m’avait-il dit. Je découvris à cette occasion que l’ignorance et la lâcheté sont attelées au même joug. La soumission à l’hégémonie culturelle de gauche fut un des moyens de Jacques Chirac pour conquérir le pouvoir. Le délégué national à la culture du RPR l’avait bien compris qui ne ménageait ni sa peine ni sa plume pour surenchérir sur la démagogie du ministre de François Mitterrand. Je finis par jeter l’éponge quelques années plus tard, après avoir admis qu’une politique d’achat sérieuse, soucieuse du public et des contribuables, était impossible. L’Etat n’était pas seul en cause. Le pays n’avait pas attendu le lobbying de l’industrie pharmaceutique pour connaître les effets désastreux d’une corruption systémique.
Toujours en 1985, je décidai d’organiser à Paris une exposition intitulée Roland Barthes, le texte et l’image qui présentait des textes de l’écrivain en regard d’œuvres d’artistes ancien et modernes sur lesquels il avait écrit : Arcimboldo, Gentileschi, les peintres du siècle d’or hollandais, Erté et son alphabet art déco, Savignac, des affichistes anglais de la fin du 19ème siècle, des peintres américains, de grands photographes comme Richard Avedon, le célèbre studio Harcourt, le dessinateur Crepax, l’inclassable Steinberg. Y figuraient également des volumes de planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ainsi que le texte magistral consacré à la Tour Eiffel.
L’aveu de Roland Barthes lassé par la modernité
Je souhaitais avec une telle exposition faire découvrir à un large public des écrits trop ignorés qui, dans l’approche de l’image picturale, publicitaire et photographique, alliaient de manière unique une intelligence éblouissante à l’élégance d’une sensibilité peu commune. J’espérais ainsi que devant leur beauté et leur pertinence le public se rendrait compte de la cuistrerie et du ridicule des papiers de nos gazettes. J’obtins également du service de la communication de la Ville que soit affiché un peu partout sur des panneaux 4 par 3 le fameux portrait de l’écrivain s’allumant une cigarette avec la citation suivante : « Tout d’un coup il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne ». Cette citation, qui surprit tout le monde, provoqua une telle ruée au Pavillon des arts où se tenait l’exposition que le catalogue fit l’objet d’un retirage et que Pierre Dumayet décida d’enregistrer son émission littéraire sur les lieux. Seul Bernard-Henri Lévy voulut faire croire qu’il en connaissait la provenance. Non, Barthes ne l’avait nullement prononcée lors d’un de ses cours au Collège de France. Alain Finkielkraut, lui, en fera un commentaire dix ans plus tard.
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L’éditeur de Barthes avait si peu imaginé la possibilité d’un tel succès qu’il laissa libres de droits la reproduction et l’utilisation de ses textes. Nous étions bientôt à la fin de la première législature socialiste et personne n’avait songé à commémorer le cinquième anniversaire de la mort de l’écrivain. C’est cet argument qui emporta la conviction de l’adjointe RPR à la culture de la Ville de Paris et permit qu’un budget fût débloqué en urgence. Je ne suis pas sûr que celle-ci, en découvrant trois mois plus tard les chiffres de la fréquentation de l’exposition, ait compris combien la lassitude de Barthes devant l’injonction d’être moderne avait redonné espoir aux visiteurs. L’aveu de la citation avait comme répondu à une attente. Sur le boulevard Saint-Germain-des-Prés, la librairie La Hune, aujourd’hui remplacée par une boutique Louis Vuitton, avait consacré toute sa vitrine à l’exposition et au catalogue dont elle vendait cinquante exemplaires par jour, à la barbe et au nez des éditions du Seuil qui regrettèrent la bévue de l’abandon de leurs droits et pour finir se brouillèrent avec la Ville. Cette brouille est édifiante par le peu de cas qu’il fut fait des demandes émanant de nombre de Maisons de la culture souhaitant pouvoir présenter une version en fac-similé de l’exposition et d’éditeurs étrangers désireux de publier une traduction du catalogue.
Des élus terrorisés par les couleurs de notre drapeau
Devant le succès de cette exposition qui avait rapporté plus d’argent à la Ville qu’elle ne lui en avait coûté, Jean-Jacques Aillagon, adjoint au Directeur des affaires culturelles de la Ville, m’invita quelque temps plus tard à déjeuner. Avais-je d’autres projets dans mes cartons ? A l’approche des manifestations du bicentenaire de la révolution française, je lui parlai d’une exposition sur Les couleurs de la France dans la peinture française. Notre emblème national, lui expliquai-je, est le seul au monde à avoir été peint par les plus grands noms de la peinture de Delacroix à Picasso : Boudin, Monet, Manet, Renoir, Pissarro, Cézanne, Caillebotte, Seurat, Signac, Van Gogh, Maurice Denis, Le Douanier Rousseau, Derain, Dufy, Marquet, Léger, Braque, Utrillo, La Fresnaye, Chagall, Gromaire, Bissière, Poliakoff, d’autres encore. Aussi notre drapeau pouvait-il être considéré comme l’emblème de deux révolutions, l’une politique, l’autre picturale. J’expliquai également à Jean-Jacques Aillagon que si notre drapeau avait fait « le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie » comme l’avait déclaré Lamartine, il l’avait fait ensuite avec les plus grands noms de la peinture. Je lui précisai qu’à ce titre il était également le symbole d’une étonnante renaissance, celle des arts qui n’avaient pas été gouvernés, comme en Grèce, par le souci de l’imitation des formes du monde. C’est à notre art moderne, né sur notre sol, que l’on doit l’immense résurrection des arts du passé sur tous les continents. Flairant l’intérêt politique du projet, il en parla à son élue qui prit la décision de sa programmation avec la même rapidité que pour Roland Barthes : l’exposition serait présentée tout d’abord au Japon dans le cadre de l’année « Paris-Tokyo » puis l’année suivante à Paris dans le cadre des manifestations du bicentenaire.
J’allais découvrir, hélas ! que nos couleurs étaient devenues si peu fréquentables que nos représentants politiques employaient sournoisement leur industrie à revenir sur un projet d’exposition susceptible de renforcer chez nos compatriotes une fierté nationale peu compatible avec le projet européen. Je ne reviendrai pas ici sur le détail des raisons qui empêchèrent à plusieurs reprises ce projet d’aboutir aussi bien sous le mandat de Jacques Chirac, Maire de Paris, que sous celui de Nicolas Sarkozy, Président de la République. Ni sur les réticences des maisons d’éditions dont l’une d’elles verra sa directrice s’installer sous les ors de la République, rue de Valois, au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron.
Il faudra attendre les attentats sanglants de 2015 et les éclairages tricolores des bâtiments emblématiques des grandes capitales occidentales pour que le livre, auquel Michel Pastoureau et Pascal Ory participèrent, puisse voir le jour. Quant à l’exposition qui devait en accompagner la sortie, que les médias interrogent donc le président du Sénat sur son revirement et sa frilosité toute européiste. N’est-ce pas donner raison à Lilian Thuram lorsque celui-ci déclare : « On exige des joueurs d’origine étrangère de montrer qu’ils aiment la France, qu’ils chantent La Marseillaise – comme si on avait un doute les concernant – alors même que la société nous a tous éduqués à avoir peur du drapeau, sauf à être taxé de FN ! »
Saccager la nation pour complaire à l’Union européenne
Les élus sont très ennuyés par nos couleurs. Se surveillant mutuellement pour complaire à la technocratie de l’Union européenne, ils ne savent sur quel pied danser. En revanche, ils n’ont aucun état d’âme lorsqu’il s’agit de saccager la nation, son histoire et sa culture en soutenant l’installation d’un « Plug anal » place Vendôme, d’un « Vagin de la Reine » dans les jardins du Château de Versailles, d’un chaos de dalles funéraires au pied des Rubens du Louvre, de vidéos d’enfants se masturbant au CAPC de Bordeaux, d’un crucifix plongé dans l’urine à Avignon, de pneus de tracteur d’un plasticien poursuivi pour pédophilie à l’Opéra, d’une scène géante de zoophilie devant le Centre Pompidou, d’un Mickey en érection sous les verrières du Grand Palais. Aussi, la disparition des États-nations leur semblant la nouvelle finalité de l’histoire, soutiennent-ils avec conviction l’empaquetage de l’Arc de Triomphe. Être dans l’air du temps, en partager la lâcheté, la puérilité, l’inculture est leur commune feuille de route depuis quarante ans ! Défigurer le patrimoine, le parasiter, le tourner en dérision, l’amputer de sa vocation, déboulonner les grands hommes, les taguer, en ôter les noms au coin de nos rues, emmailloter un monument emblématique de notre histoire avec 25 000 m² de tissus et 3000 mètres de cordes pour un coût de 14 millions d’euros, cela leur dit. D’autant plus que l’opération est autofinancée par la vente des dessins préparatoires et demain par les droits de reproduction en tous genres. Etant habitués depuis tant d’années à ne voir que l’aspect comptable des choses, ils sont incapables de comprendre qu’une nation ne peut pas plus se réduire à son économie, qu’une politique de santé publique à l’équilibre budgétaire de l’hôpital.
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Les artistes contemporains ça ose tout
Quelle raison y aurait-il de s’opposer au projet de Christo ? L’individu est devenu une star de l’art contemporain à laquelle le Centre Georges-Pompidou vient de consacrer une grande exposition. Ses dessins préparatoires se vendent à prix d’or. Il est le premier et le seul à faire ce qu’il fait. Il donne à voir ce qu’il cache, paraît-il. Et puis, il l’a dit, « ce sera comme un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument devenir sensuelle ». Il en rêvait depuis longtemps, mais ne s’est pas contenté d’en rêver. Il l’a fait. Les artistes contemporains ça ose tout ! Les empaquetages de Christo n’ont bien sûr rien voir avec les bâches publicitaires tendues sur les façades d’immeubles en réfection. L’ancien réfugié bulgare ne fait de la publicité que pour lui-même, et son coup de génie, c’est de n’avoir pas besoin de mettre son nom sur ses bâches comme Yves Saint-Laurent sur celles du Lutétia ou Samsung sur celles de l’hôtel de la Marine. Et puis quand on y songe, une équipe de 95 cordistes qui descendent en rappel avec casques et baudriers, c’est une prouesse autrement plus folle que l’escalade à mains nues des 187 mètres de la tour Total de la Défense par Alain Robert, cet homme de 59 ans qui, accompagné de trois jeunes grimpeurs, voulut avec eux, le 7 septembre, marquer son opposition au passe sanitaire et rendre hommage à Jean-Paul Belmondo. Cela étant dit, ce que fait Christo n’est ni vulgaire, ni laid, ni beau ; c’est uniquement sans intérêt. On aimerait dire « ce n’est rien » comme pour les meubles qu’il empaquetait et ficelait autrefois, mais le côté spectaculaire de ce qu’il fait nous en empêche. A vrai dire, pas très longtemps parce que, la surprise et le spectacle s’usant vite, l’absence d’intérêt reprend tout de suite le dessus. « Le premier qui compara la femme à une rose, c’est un poète, le second fut un imbécile » a dit Gérard de Nerval. Le premier qui empaqueta un monument… Mais il n’y a jamais eu de premier. Toute sa vie, Christo n’a fait que se succéder à lui-même. Même la toute première fois !
Barthes disait de la Tour Effel, que Maupassant détestait au point d’y dîner pour ne pas l’avoir sous les yeux, qu’elle était la première porte de Paris. Les touristes y montent jusqu’au troisième étage, admirent « la moire historique » de la ville à leur pied et en redescendent. Ils sont enfin à Paris. Maupassant détesterait sans doute encore plus cet Arc de Triomphe empaqueté. Aucun écrivain toutefois ne pourrait en rédimer la détestation par une observation intelligente. Les badauds viendront tourner autour, lever la tête, toucher la toile, tripoter une corde, prendre des photos, faire des selfies, seuls ou en familles. Ils verront non pas qu’il n’y a rien à voir, mais rien à dire parce que l’on peut tout dire et que, quoi qu’on dise, ce ne peut être que sans intérêt.
Un sale coup d’Emmanuel Macron
L’Arc de Triomphe est le haut lieu des grandes manifestations nationales. Le Soldat inconnu y a été inhumé sur le terre-plein en 1921 et on y ravive chaque soir la flamme du souvenir. Souhaité par Napoléon en 1806, il fut inauguré en 1836 par Louis-Philippe qui le dédia aux armées de la Révolution et de l’Empire. Après les Invalides sous le dôme duquel pend misérablement au-dessus du tombeau de l’Empereur une copie en plastique du squelette de son prétendu cheval Marengo, c’est place Charles-de-Gaulle qu’Emmanuel Macron lance une nouvelle offensive contre une histoire de France dont il a appelé de ses vœux, le 18 avril dernier, la « déconstruction ». Pour l’année du bicentenaire de la mort de Napoléon, cet Arc de Triomphe en pyjama propose très clairement aux Français de rejoindre leurs élus couchés depuis plus de quarante ans devant la débilité de l’art contemporain et de s’enfoncer avec eux dans la nuit sans étoiles d’une nation sans repères.
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