L’addition est simple. Immigration non maîtrisée + surnatalité des femmes étrangères = de moins en moins d’autochtones. La situation dans de nombreuses villes prouve que le changement n’est pas un « fantasme ».
À la fin du mois d’août, la publication d’une première version de notre étude « Immigration et démographie urbaine » sur le site de Causeur a suscité une vague de réactions dans les médias, chez les politiques et sur les réseaux sociaux. Les bandeaux de CNews parlaient de « bouleversement démographique ». Mais d’autres mots ont hanté les conversations et figuré toute une journée en haut des tendances Twitter : #GrandRemplacement.
Forgée par l’écrivain Renaud Camus dans un essai paru en 2011, cette notion nourrit désormais les éditoriaux, les discussions familiales, mais aussi les lieux de pouvoir. Le journaliste Marc Endeweld affirmait récemment que le président Macron la reprenait régulièrement lors de conversations au sujet de l’immigration et de l’islam.
Un basculement historique
Il est donc légitime de se demander si nos cartes et nos analyses valident ou non la thèse du « grand remplacement ».
Renaud Camus défend l’idée selon laquelle la France et l’Europe connaissent un changement de population, qu’il résume de la façon suivante : « Pouvez-vous développer le concept de Grand Remplacement ? – Oh, c’est très simple : vous avez un peuple et presque d’un seul coup, en une génération, vous avez à sa place un ou plusieurs autres peuples » [1]. Pour l’auteur, cela constitue « le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque, si le changement de peuple et de civilisation, déjà tellement avancé, est mené jusqu’à son terme, l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne, ni la nôtre ».
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Avec le « grand remplacement », Renaud Camus défend, selon François Héran, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire Migrations et sociétés, « une thèse à deux jambes » [2] :
– La première jambe est quantitative, elle se réfère aux flux migratoires et aux différentiels de fécondité ;
– La seconde est qualitative et se réfère aux changements culturels au sein de la société française.
Sur le plan quantitatif, les éléments ne manquent pas pour étayer le constat d’une transformation rapide de la démographie française sous l’effet de l’immigration. Celle-ci a eu pour conséquence que 11 % de la population résidant en France est immigrée en 2017 et que 25 % est d’origine immigrée – si l’on compte les enfants de la seconde génération issue de l’immigration –, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) publiés en octobre 2018 [3].
Nous sommes donc loin du pur « fantasme » évoqué par certains, d’autant plus qu’il s’agit là exclusivement de stocks – c’est-à-dire de ce qui est et non de ce qui sera à l’avenir. Or deux moteurs conjoints amplifient rapidement ces transformations.
1) La poursuite et l’accélération de l’immigration vers la France
Pour la seule année 2019, 469 000 étrangers se sont légalement installés sur le territoire national [4] (primo-titres de séjour accordés + demandes d’asile enregistrées + mineurs étrangers reconnus « isolés »), soit un record absolu. Il faut ajouter à cela les entrées clandestines, difficiles à chiffrer par nature, mais que l’on peut estimer à plusieurs dizaines de milliers par an.
2) La surnatalité des populations immigrées par rapport aux natifs.
Il importe de tenir compte du différentiel de fécondité entre les femmes descendantes d’autochtones (moins de 1,8 enfant par femme en moyenne en 2017), les femmes descendantes d’immigrés (2,02 enfants par femme en moyenne) et les femmes immigrées (2,73 enfants par femme en moyenne). Cette fécondité varie fortement selon l’origine des femmes : 3,6 enfants par femme en moyenne pour les immigrées algériennes, 3,5 enfants par femme pour les immigrées tunisiennes, 3,4 enfants par femme pour les immigrées marocaines et 3,1 enfants par femme pour les immigrées turques, ce qui est plus élevé que la fécondité de leurs pays d’origine (respectivement 3 ; 2,4 ; 2,2 ; 2,1 [5]).
Sur une même période de vingt ans, entre 1998 et 2018 :
– Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont français a baissé de 13,7 % ;
– Le nombre de naissances d’enfants dont au moins un des parents est étranger a augmenté de 63,6 % ;
– Le nombre de naissances d’enfants dont les deux parents sont étrangers a progressé de 43 % [6].
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En 2018, près d’un tiers des enfants nés en France (31,4 %) ont au moins un parent né à l’étranger.
Les natifs au carré déjà minoritaires dans de vastes zones urbaines
Commentant les projections de population d’origine étrangère dans les pays de l’UE adossées au scénario Convergence 2008-2060 d’Eurostat [7], la démographe Michèle Tribalat précisait que dans certains pays, « les natifs au carré pourraient devenir minoritaires avant l’âge de 40 ans, d’ici 2060 » – natifs au carré désignant les personnes nées dans un pays de deux parents qui y sont nés également. Elle explique ces résultats par « la conjonction d’une démographie interne peu dynamique et des soldes migratoires projetés qui donne une contribution aussi importante à l’immigration » [8].
Quant à l’aspect « qualitatif » de la notion de « grand remplacement », recouvrant les transformations de mœurs et de civilisation potentiellement induites par l’immigration (spécialement extra-européenne), il ne saurait évidemment être résumé par des données statistiques. Concluons néanmoins avec Michèle Tribalat : « Il me semble que le succès de cette notion vient de son pouvoir d’évocation de certaines situations vécues. Elle a un sens figuré qui évoque l’effondrement d’un univers familier que vit, ou craint de vivre, une partie de la population française : disparition de commerces, et donc de produits auxquels elle est habituée, habitudes vestimentaires, mais aussi pratiques de civilité, modes de vie… »
[1] Renaud Camus, Le Grand Remplacement, 2011.
[2] Interview de François Héran par Ivanne Trippenbach pour L’Opinion, 4 octobre 2019.
[3] Cités par Jean-Paul Gourévitch dans Le Grand Remplacement : réalité ou intox ?, Pierre-Guillaume de Roux, 2019.
[4] Sources : Ministère de l’Intérieur et Ofpra.
[5] Interview de François Héran, op. cit.
[6] Statistiques de l’état civil de l’Insee et du document « T37BIS : nés vivants selon la nationalité des parents (Union européenne à 28 ou non) ». Calculs : OID. https://observatoire-immigration.fr/natalite-et-immigration/
[7] Eurostat, « Fewer, older and multicultural ? Projections of the EU populations by foreign/national background », 2011.
[8] Interview de la démographe Michèle Tribalat par Rudy Reichstadt réalisée en 2017 et publiée sur le site de Causeur en 2019 : « L’idée de “grand remplacement” évoque l’effondrement d’un univers familier que vit une partie de la population ».