Déjà le fruit d’un échec américain sur les plans de la stratégie et du renseignement, l’attentat monstrueux contre les deux tours du World Trade Center et le Pentagone – ou, selon le sigle américain, « 9/11 » – a condamné notre monde, non seulement à une nouvelle ère de luttes incessantes et de carnage généralisé, mais aussi à une répétition sans fin des mêmes erreurs. Pour comble, il n’est pas certain que le monde en tire des leçons à la hauteur de l’échec.
Qui se souvient du 11 septembre 2001 ? Ceux qui n’étaient pas encore nés ne le connaissent que par ouï-dire, à travers des images iconiques, des récits, des documentaires ou des cours d’histoire. Ceux d’entre nous qui en ont un souvenir direct – sans en être des acteurs, des victimes, ou des témoins oculaires – peuvent jouer le jeu de l’interrogation, fréquent dans les années 60-70 à propos de la mort de JFK ou d’Elvis : « Vous faisiez quoi quand vous avez appris la nouvelle? » Le vingtième anniversaire, avec ses commémorations, sera l’occasion de revivre à la fois l’horreur et l’héroïsme de cet événement, de passer en revue ses causes et ses effets dans une perspective historique. L’appartenance apparente de 9/11 au passé et au domaine de la mémoire s’incarne dans un musée, ouvert en 2014 à Ground Zero. On y voit des objets personnels des victimes, gris de cendres, rouillés, écrasés ou fondus. On y lit les noms des 2977 morts dans l’attentat, plus ceux des six morts de l’attaque du World Trade Center de 1993. Plus de 1100 restes humains n’ont jamais été retrouvés et n’ont donc pas trouvé de sépulture. 105 enfants qui étaient dans le ventre de leur mère ce jour-là n’ont jamais connu leur père. Le travail de deuil reste immense, sur les plans national et international.
Pourtant, l’événement n’appartient pas au passé. Il est toujours actuel parce qu’il n’a jamais pris fin. Si en France on parle beaucoup en ce moment du procès « historique » des responsables du massacre du Bataclan, on semble ignorer que, après beaucoup de retard, celui des responsables vivants du 11 septembre vient de commencer dans sa phase d’instruction préliminaire, devant un tribunal non pas civil mais militaire, et non pas aux États-Unis mais à Guantanamo. Il y a cinq accusés, dont le cerveau présumé de 9/11, Khalid Cheikh Mohammed. Après une deuxième phase d’instruction en novembre, le procès véritable commencera peut-être en avril 2022. Une preuve encore plus frappante du fait que le 11 septembre 2001 n’a jamais pris fin est la coïncidence apparente entre cet anniversaire et la retraite en catastrophe des forces américaines et de l’OTAN devant l’effondrement de la République islamique d’Afghanistan, créée en 2004, et la victoire éclair des Talibans. Car le 11 septembre est inséparable de cette guerre d’Afghanistan (2001-2021 ; 3576 morts des forces de la coalition, 70 000 morts des forces de sécurité afghanes, 50 000 morts parmi les Talibans, 46 000 morts de civils ; coût total : 2,3 trillions de dollars), et de celle d’Iraq (2003-2011 ; 5 000 morts des forces de la coalition, 18 000 morts des forces de sécurité irakiennes, 26 000 morts parmi les insurgés, bien plus de 100 000 morts violentes parmi les civils ; coût total : 1,9 trillion de dollars). On pourrait y ajouter la guerre contre l’État islamique entre 2014 et 2017. Le 11 septembre est inséparable également des attentats terroristes spectaculaires qui ont suivi : à Madrid, Londres, Paris, Nice et Manchester… et ceux, encore plus nombreux
