Le nouveau Dumont satirise peopolisation de l’info et addiction à l’image. Lourd mais avec quelques éclats.
France de Meurs est une journaliste-télé adulée, mi-PPDA, mi-Anne Sinclair, avec une pointe de BHL. Trônant en haut des hashtags, cette présentatrice de chaîne d’info, qui ne répugne pas à se travestir en reporter de guerre, va connaître de grands trous d’air et traverser bien des malheurs, ceux des autres et les siens, sans parvenir à autre chose que s’en servir.
Une fois n’est pas coutume, le sujet du dernier Bruno Dumont avait tout pour passionner après son remake involontaire et en double série de la Soupe aux choux (Les horribles P’tit Quinquin et Coincoin et les Z’Inhumains) et ses deux Jeanne parlées-chantées d’après Charles Péguy, les deux à peine sauvables par la grâce d’une jeune actrice, Lise Leplat Prudhomme, et la seconde un pur et simple supplice bien plus long qu’un bûcher.
Un cinéaste terriblement littéral
Le problème tient à ce que Bruno Dumont est un cinéaste terriblement littéral à qui collent comme un gant les reproches formulés un jour par Claude Chabrol à Robert Bresson : il souligne tout, si bien que presque rien ne se détache. Chabrol insistait sur les répétitions d’inserts chez Bresson – des poignées de porte par exemple, là où Dumont répète les scènes pour insister sur une idée (ex : la mise en scène des combattants ou des migrants par France) et répète à l’intérieur d’une même scène le même motif jusqu’à l’épuisement (faire rejouer à un insurgé un regard vers le ciel). Comme si, à force de filmer des amateurs attardés, différents ou dans leur monde, il prenait le spectateur pour l’un d’entre eux.
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Et sa persistance dans la comédie, genre qui lui convient peu, confine à l’inconscience. La satire se marie mal avec le plomb qui double ses semelles. Il y a du Anselm Kiefer, le plasticien allemand amateur de matières et de massif, chez Dumont, notamment dans son goût pour l’obscur et les paysages. Et la ductilité du plomb se retrouve dans le jeu de Léa Seydoux qui exprime très bien l’aveuglement d’un tout petit monde : sa dépression et ses larmes ne la feront jamais quitter les somptueuses tenues de créateurs dans lesquelles elle apparaît à chaque plan.
Filmant l’impossibilité de la transcendance, Dumont tend un miroir à notre époque où l’immédiateté est devenue la vertu la mieux partagée avec le devenir-image. France est une Ingrid Bergman qui ne connaîtra jamais la rédemption d’”Europe 51” chez Rossellini. Le scénario entame plusieurs fois sa superbe, mais elle revient toujours égale, même après la mort des siens.
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Cette France de Meurs immortelle – peut-être zombie, la vie et la mort réunies en son nom – est aussi un pays fait de glaise et de vraies gens. Dans une scène valant emblème, l’assistante de France jouée par Blanche Gardin la compare à une argile malléable qui passerait par des hauts et des bas afin de régner toujours sur le public : « Le pire, c’est le mieux. ». Golem sans maître, France ne peut que s’arrêter intriguée, devant un champ du Nord encore boueux de la pluie qui vient de tomber, mais son enracinement ne pourra advenir. On sent que Dumont a pratiqué les penseurs critiques de la sécession des élites, de Christopher Lasch au plus récent Guilluy. Ce fond sociologique grippe toutefois, souvent réduit à une opposition entre la France d’en haut et les Français d’en bas. La journaliste ne peut que tenir à distance tout écart, par sa présence et celle de la caméra. Il faut attendre la dernière scène – un probable Gilet jaune détruisant le concept des « mobilités douces » – pour que la prescience de sa chute traverse le regard de France.
Et pourtant de magnifiques éclats
Tout retourne à la terre chez Dumont, à l’image d’un accident de voiture qui évoque curieusement Les Choses de la vie par ses ralentis dans l’habitacle. Son romanesque lourd et redondant est pourtant transfiguré à de rares reprises. Un plan absolument magnifique, le plus beau du film, dispose quelques silhouettes en plein exercice devant un paysage alpin et enneigé, encore vibrant d’une brume qui se dissipe.
Décalée à quelques mètres devant eux, France improvise des mouvements plus proches de la danse, s’arrête et puis se rapproche de la caméra, entamant la conversation avec un homme hors-champ, avant que soudainement un bras surgissant dans le cadre l’arrache à celui-ci. Ce détachement du monde se révélera factice comme tout le reste, mais en un instant, Dumont exprime avec une réelle maestria le désir impossible d’un personnage d’être transporté hors de soi. Hors Satan ?
France, de Bruno Dumont (en salle depuis le 25 août).
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