Alors que s’ouvre la plus grande audience criminelle jamais tenue en France, entendant juger 20 accusés retrouvés de l’attentat du Bataclan, du Stade de France et des terrasses, il y a un risque sérieux que la compassion médiatique ne l’emporte sur notre nécessaire lucidité.
« Historique » : c’est ainsi que la plupart des médias qualifient le procès des attentats du 13 novembre. À vrai dire, quel que soit le sujet, l’inflation de ce terme est passablement ridicule. Tous les quatre matins, on nous annonce un événement historique, comme si toute nouveauté était historique. De sorte qu’on nous expliquera bientôt que le dernier I-Phone avec ses fonctionnalités inconnues jusque-là est lui aussi historique ! On peut dire d’un événement qu’il est historique quand il change la face du monde, que celui-ci n’est plus tout à fait comme avant. Dans cette perspective, on peut dire que les attentats de 2015 étaient historiques, car le monde d’après est effectivement différent. Le 7 janvier et le 13 novembre 2015 ont effectivement introduit une rupture dans la conscience humaine, européenne ou française pour paraphraser le titre du célèbre essai de Paul Hazard sur la fin du XVIe siècle.
Certes, il serait abusif d’affirmer que rien n’est plus comme avant, mais il est probable que quelque chose de profond a changé dans la société française et dans la perception qu’elle a d’elle-même. Les procès peuvent certes être intéressants, mais il n’est pas sûr qu’ils nous apprennent beaucoup de choses que nous ne sachions déjà.
Gigantisme et crainte d’un nouvel attentat
Ce qui rend le procès du 13 novembre, exceptionnel, peut-être jusqu’à l’absurde, c’est le gigantisme : 1800 parties civiles, 300 avocats, un million de pages. Reste à savoir quelle vérité nouvelle émergera de ces neuf mois d’audience (en supposant que ce délai ne soit pas allongé, comme pour le procès Charlie, parce que l’un des accusés est positif au Covid). Il est vrai que, parmi les 14 accusés, se trouve Salah Abdeslam qui n’est pas, loin s’en faut, un second couteau. Le problème est que, s’il persiste dans son mutisme, on n’apprendra rien de lui.
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On nous dit que, l’important, c’est d’entendre la parole des victimes. Le procès servirait d’abord à « réparer » ceux qui ont survécu et tous ceux qui ont perdu un être cher. D’abord, il n’est pas sûr que ça les répare. Ensuite, est-ce le rôle de la Justice ? Certes, les récits des survivants sont poignants. Mais d’abord, on les a déjà largement entendus – dans les jours qui ont suivi les attentats, pour les anniversaires, et depuis une semaine en prévision du procès. Ensuite, la parole des victimes ne rend pas l’événement intelligible. Leur souffrance nous touche, nous revivons en même temps qu’elles cette nuit terrible, mais elle ne nous informe ni sur les causes de l’événement, ni sur les moyens d’éviter sa répétition.
Reparlons plutôt “séparatisme”
L’effet de sidération créé par cette souffrance inouïe (et probablement irréparable) peut même être un alibi pour ne pas comprendre.
Au-delà de la sanction des coupables, nous devons comprendre l’idéologie qui les a inspirés et le terreau où se déploie cette idéologie. Or, dans notre obsession de ne pas stigmatiser, nous nous racontons qu’il y a une frontière nette entre islam et islamisme. Et nous refusons de voir l’imprégnation d’une partie de l’islam (30%, selon la plupart des études) par ce que Macron a appelé le séparatisme, lequel divise le monde entre croyants et infidèles, halal et haram.
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Ce séparatisme peut être parfaitement pacifique, condamner les assassins : il n’en est pas moins un facteur d’archipellisation, voire de libanisation de nos sociétés ouvertes. La compassion, l’empathie pour les victimes sont légitimes. Que la collectivité leur apporte reconnaissance et soutien, c’est très bien.
Mais notre premier devoir envers elles, et envers nous, c’est la lucidité.