Le Premier ministre canadien veut faire de son pays un grand safe space où retirer des « privilèges » aux non-vaccinés est la seule discrimination autorisée…
Il y a dans l’aversion pour les non-vaccinés et peut-être bientôt des moins de trois doses les restes d’une société frustrée par son idéal d’inclusion sans limites.
Ces vingt dernières années, nos sociétés se sont évertuées à se montrer ouvertes envers tous les groupes imaginables – jusqu’aux talibans récemment –, pour en venir à encourager une violence symbolique exercée contre son voisin. Comme si pour compenser ce trop-plein d’ouverture, nos sociétés avaient dû s’inventer une cible idéale, sans couleur ni religion ni sexe, pour enfin déverser sur elle ce qu’elle n’a pu déverser sur les autres. Une cible politiquement correcte qui collerait bien à l’air du temps aseptisant. Après le refoulement, le défoulement.
La fausse tolérance du Canada
Au Canada, eldorado du vivre-ensemble, il est extraordinairement paradoxal de voir les chantres de la tolérance se retourner sans même s’en apercevoir contre les grands principes qu’ils disaient défendre avec acharnement. Alors que le droit au travail est remis en question, que le Québec et l’Ontario adoptent le passeport vaccinal et qu’Ottawa songe à la vaccination obligatoire de diverses catégories de gens, c’est silence zéro du côté des apôtres de l’inclusion. Les Chartes de droits et libertés qu’on pensait inviolables sont lâchement abandonnées par la communauté juridique, réduites à un strict instrument de défense de la sainte diversité. Les droits fondamentaux sont garantis quand il s’agit de faire le procès de l’homme blanc et de défendre toutes sortes d’extravagances religieuses et identitaires, mais caducs quand il s’agit de s’opposer à ce nouveau régime de séparation.
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Nul ne représente mieux ce courant que le premier ministre sortant, Justin Trudeau, lui aussi reconnu pour son ouverture légendaire. Le 16 août, le petit prince boréal a déclenché une élection fédérale pour des raisons jugées obscures, mais sa stratégie est maintenant claire : vendre un grand safe space aux Canadiens. Un safe space économique, écologique et psychologique, mais surtout sanitaire. La chanson était connue depuis des mois : les critiques des mesures abusives, du vaccin pour tous et de la troisième dose sont un danger qu’il faut écraser. Il faut assurer notre sécurité, peu importe les coûts démocratiques. « Les anti-vaccins menacent leurs propres enfants et les nôtres », a déclaré Justin Trudeau dans un registre particulièrement démagogique. Pour remporter l’élection, il faut polariser, quitte à dégrader encore plus le climat social.
Les libéraux illibéraux contre la menace invisible
Pourchassé sur le terrain par des militants opposés à la vaccination obligatoire qu’il promet de mettre en œuvre, Trudeau a décidé de faire de la protection face au virus le cœur de sa campagne. Trudeau reprend la stratégie fondée sur la peur qu’il a toujours prêtée aux nationalistes québécois opposés à l’immigration massive, remplaçant les immigrés par les anti-vaccins en tant que menace ultime. Jusqu’à présent, les bons scores des conservateurs indiquent toutefois une certaine résistance de l’électorat : les tories refuseraient au pouvoir d’utiliser la coercition.
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Mais le pari de Trudeau n’est pas bête, car depuis le début de la crise, les Canadiens sont quasi unanimes : il faut en faire plus, toujours plus pour les protéger, dans une orgie de peur et d’hystérie qui n’est pas terminée. Mais au lieu de se réjouir de ce consensus et des taux record de vaccination, les leaders du sanitarisme veulent atteindre 100% de conformité idéologique, alors qu’elle, l’efficacité des vaccins est loin d’être absolue. Ce réflexe rompt avec la tradition de pluralisme censée caractériser ce flegmatique Canada aux institutions britanniques.
Les droits fondamentaux remplacés par des « privilèges »
Il faut certes encourager la vaccination sur une base volontaire, mais il est troublant d’assister à l’érosion de la démocratie libérale et de son État de droit. Nos grands principes ne semblent plus valoir grand-chose à la vue d’un virus apparemment plus effrayant que tous les attentats islamistes. De même, il faut voir Justin Trudeau et le premier ministre du Québec, François Legault, commencer à utiliser le mot privilège à la place de celui de droit. Quand ils déclarent devoir retirer des « privilèges » aux non-vaccinés, il faut entendre des droits, un glissement sémantique qui en dit long sur la mutation des mentalités. Il ne s’agit pas de dire que les libertés sont toujours absolues, mais de réaliser que nous assistons à la naissance d’un nouvel ordre politique et social.