Venu du court, Yassine Qnia réussit son premier long-métrage, le portrait d’un homme de trop. « De bas étage », actuellement au cinéma.
Il est reposant de découvrir un film français se refusant à tout tape-à-l’œil. Il est pratiquement miraculeux de s’apercevoir que c’est de plus le tout premier long d’un réalisateur autodidacte.
“De bas étage” – beau titre périlleux – s’attache à un perceur de coffre-fort à la petite semaine qui, au moment où le récit commence, paye ses choix de vie par la séparation d’avec la mère de son fils âgé d’un an. Il suffit de deux minutes à Yassine Qnia pour nous rassurer sur sa volonté à n’emprunter aucune des deux voies royales et dominantes du naturalisme, la haute en couleurs cruelles à la Kechiche ou la sociale évangélique de genre Dardenne. Naturalisme est même presque un gros mot quand on voit le travail d’orfèvre avec lequel il pose et développe ses caractères et situations. Qnia retranche de la vie tout ce qui pourrait faire diversion, pour saisir plus qu’une épure, un naturel purement construit par écriture, direction d’acteurs, mise en scène et montage. C’est un art discret qui impressionne lentement mais sûrement.
L’observation amoureuse et le guet se confondent souvent dans “De bas étage”. On désire de loin, à l’image des premier et dernier plans. L’interprétation est tout simplement exceptionnelle : Soufiane Guerrab et Souheila Yacoub, parfaitement dirigés, enlèvent toute vulgarité, toute facilité à leurs personnages. Chacun de leurs échanges tendus est le sismographe de leur incompatibilité mais aussi de l’amour qu’ils se portent envers et contre tout. Guerrab surtout parvient à humaniser un héros, sur le papier assez manipulateur et par moments infect, en jouant le refus de monnayer sa valeur et un désir inexpugnable de quant-à-soi. Son Mehdi est un homme qui, ne pouvant franchir une ligne invisible, se perd et fait le malheur autour de lui. La justesse de chaque scène, de chaque réplique, les plans ne durant jamais plus qu’il ne faut, est telle qu’on reprocherait presque à Qnia de tenter une dramatisation mesurée vers le second tiers, mais il aura le bon goût de ne pas la mener à terme. Il lui suffit des teintes sombres d’un hiver sans répit, l’hiver des vies qu’on mène mal et à bas bruit, pour imposer son regard.
“De bas étage” est tout simplement le premier film français le plus frappant qu’on ait vu depuis des lustres.
En salle depuis le 4 août
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