Scandaleux, ce titre n’est autre que la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel des talibans. Maintenant que vous connaissez la signification du “blase” de cette “haute figure” afghane, libre à vous de continuer à croire au caractère moins radical du nouveau pouvoir à Kaboul. Analyse.
L’égorgeur d’Allah. Si scandaleux soit-il, ce titre est tout simplement la traduction du nom et du prénom du porte-parole officiel du mouvement taliban, qui vient de s’emparer du pouvoir au grand dam de l’Europe et avec l’aval explicite de Washington. Il s’appelle, ou s’est donné pour nom de guerre, Zabihullah Mujahid, c’est-à-dire textuellement « l’égorgeur d’Allah » ou « l’égorgé d’Allah » (prénom) et son « combattant » (nom), la racine commune d’égorgé et d’égorgeur étant le verbe arabe « zhabaha ». Les journalistes qui couvraient les événements en Afghanistan connaissaient depuis longtemps la voix de Zabihullah mais jamais son visage. Certains croyaient d’ailleurs que c’était un pseudonyme utilisé par plusieurs dirigeants interchangeables de l’organisation talibane pour revendiquer par téléphone telle ou telle action terroriste contre des « collabos » afghans ou des militaires occidentaux. Mais selon la correspondante de la BBC à Kaboul, présente à la première conférence de presse des talibans, le 17 août, Zabihullah Mujahid est bien l’homme avec lequel elle correspondait téléphoniquement ces dix dernières années. Surprise par ses déclarations conciliantes et rassurantes, notamment sur les femmes qui seront libres dans la stricte observance de la charia, elle le décrit tel qu’elle l’a connu au téléphone : un « personnage fanatique » et « assoiffé de sang occidental ».
Un mouvement réformé?
Le moins qu’on puisse dire est qu’il porte parfaitement bien son nom ! Dans les années qui viennent et malgré les promesses anesthésiantes de Zabihullah, les « égorgeurs d’Allah » ne vont pas chômer. Tous les « mauvais » Afghans qui ont cru aux valeurs occidentales, que les Américains, les Britanniques et les Allemands abandonnent aujourd’hui à leur triste destin, vont passer au fil de l’épée. L’identité ou le nom de guerre de ce porte-parole de l’émirat islamique d’Afghanistan annonce à lui seul tout le programme des talibans et il définit l’idéologie barbare, théocratique et totalitaire de cette secte qui a déferlé sur Kaboul le 15 août dernier. Il décline le projet purificateur et génocidaire de cette organisation dont certains médias islamiquement corrects nous présentent déjà comme un « mouvement politico-religieux réformé », ses dirigeants ayant appris de leurs erreurs du passé, plus précisément de leur règne cauchemardesque entre 1996 et 2001. Vingt ans après avoir été évincé du pouvoir, les talibans auraient changé ! C’est leur porte-parole lui-même qui nous le garantit. Et lorsqu’on est de bonne foi… islamique, pourquoi ne pas les croire ? Et même si les mois et les années à venir donneraient raison à Cassandre, il y aura toujours en Occident et notamment en France les tenants du relativisme culturel et les zélotes de l’islamisme « modéré » pour nous expliquer, de façon hégéliano-marxiste, que l’histoire est par définition même tragique et que les révolutions sont toujours violentes. Les plus sophistes gloseront alors sur les victimes expiatoires de la Révolution de 1789 et sur les crimes abominables de Robespierre. Quant aux plus islamophiles, dont les droit-de-l’hommistes et les islamo-gauchistes qui appellent déjà à accueillir les milliers des naufragés Afghans de la realpolitik américaine, ils nous jureraient sur la sainteté du prophète que les égorgés, les suppliciés et les lapidées en Afghanistan ne traduisent aucunement les injonctions d’une charia nécrosée et moyenâgeuse mais le libre arbitre (ijtihâd) de quelques brebis galeuses qui n’ont rien à voir avec le « véritable islam ».
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Nous l’avons écrit il y a 20 ans, « le talibanisme est un hybride qui doit sa naissance au prosélytisme saoudien, au cynisme pakistanais et au machiavélisme américain » pour saigner l’URSS (« L’islam, otage des talibans », Libération du 21 mars 2001). Il n’en demeure pas moins que ces « Moudjahidins de la CIA », comme les appelait Olivier Roy, s’inspirent et se ressourcent dans un Coran qui est allergique à l’herméneutique et d’une Sunna qui résiste à l’historicité. En d’autres termes, le talibanisme n’est pas une altération du vrai islam mais au contraire sa traduction radicalement authentique et littérale. La « cité vertueuse » des talibans n’est pas celle du philosophe platonicien Al-Farabi, mais, disent-ils, la cité fondée par le prophète de l’islam, à Médine, il y a de cela 15 siècles.
Intervenir en 2001 était légitime
Jadis et naguère figure flamboyante du progressisme américain, Madeleine Albright prêchait déjà, dans ses Mémoires (2003), l’ouverture du dialogue avec les « talibans modérés ». C’était à peine deux ans après le cataclysme du 11 septembre 2001 et la décision immédiate de George W. Bush de nettoyer l’Afghanistan du couple maléfique Taliban/Al-Qaïda, une décision que j’avais à l’époque justifiée (« Le virus théocratique », Le Figaro du 3 octobre 2001). Nonobstant la capitulation américaine et la débâcle occidentale du 15 août dernier, je persiste à croire que la destruction en octobre-novembre 2001 de cet « Etat » islamo-mafieux et terroriste était politiquement nécessaire et moralement légitime. Le mollah Omar et le cheikh Ben Laden – tous les deux sous protection pakistanaise – devaient impérativement être supprimés et leur sinistre nébuleuse devait être anéantie. Mais c’est dans la gestion de l’après-victoire, dans la pacification de la société afghane, je dirai même dans leur mission civilisatrice que les occidentaux ont lamentablement échoué, faisant preuve d’indigence, d’impéritie et de naïveté. En 2001, les occidentaux ne se sont pas trompés d’ennemis ni de cibles, mais de peuple ! Ils ont cru pouvoir apporter les Lumières à une société tribale, clanique et ataviquement plus attachée à la charia qu’à la liberté. Comme le disait si bien Rousseau, « La liberté est un aliment de bon suc et de forte digestion qu’il faut des estomacs bien sains pour le supporter ». L’obscurantisme islamiste résiste toujours aux Lumières émancipatrices ; et cela vaut aussi bien en Afghanistan qu’à Molenbeek ou dans certaines « banlieues de l’islam », pour reprendre cette expression à Gilles Kepel.
Et pour preuve : en vingt ans de présence américaine et sous les différents gouvernements « éclairés » qui ont gouverné l’Afghanistan, les burkas n’ont jamais disparu du paysage, ni les écoles coraniques, ni les mariages forcés de filles de douze ans, ni les amputations des voleurs, ni les flagellations publiques des femmes « impures », ni les lapidations d’épouses adultères, voire d’adolescentes coupables d’actes ou de gestes amoureux. Comme sous le régime barbare des talibans, sous l’« Administration intérimaire afghane » (2001), ou sous l’« État transitoire islamique d’Afghanistan » (2002), ou sous la « République islamique d’Afghanistan » (2004-2021), la charia était toujours la source de la constitution et les fatwas avaient force de loi. Malgré quelques acquis élémentaires en Occident mais gigantesques en Afghanistan, comme l’accès des filles à l’éducation et au travail, la réouverture des salles de cinéma, ou la disparition de la police chargée de promouvoir la vertu et de réprimer le vice, rien ou presque n’a véritablement changé dans cette société primitive, dans le sens anthropologique du terme. Sans manquer d’empathie pour ce peuple meurtri, c’est à se demander, avec Rousseau, si la démocratie n’était pas faite pour « un peuple de dieux » car, « un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Sommes-nous encore capables de faire la distinction tocquevilienne entre la démocratie comme type de régime et la démocratie comme fait social ? Si la démocratie, la modernité, les droits-de-l’homme sont hypothétiquement universels, sont-ils pour autant exportables dans des pays où « la violence et le sacré » sont inextricablement liés et où la loi d’Allah est supérieure aux lois positives ? La démocratie n’est-elle pas consubstantiellement liée à la sécularisation ?
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Le déclin de l’hyperpuissance américaine
Par-delà ces interrogations philosophiques que les idiots utiles de l’islamisme modéré ont largement le temps de méditer, l’heure est au bilan et surtout à l’anticipation des conséquences politiques, géopolitiques et sécuritaires du désastre afghan. Étonné que l’armée afghane n’ait point livré bataille face à la déferlante talibane, Joe Biden a déclaré : « nous avons dépensé plus de 1000 milliards de dollars sur 20 ans… Nous avons formé et équipé d’un matériel moderne plus de 300 000 soldats afghans ». Le président américain ne pouvait pas deviner l’évidence, à savoir que les soldats de cette armée biface et réversible sont d’abord des Afghans, que leur conception de l’islam est identique à celle des talibans, qu’au plus profond de leur conscience, il y a les envahisseurs impies et les libérateurs musulmans, qu’après tout, les talibans sont leurs compatriotes et leurs frères en religion, qu’après avoir incarné la vénalité, leur président Ashraf Ghani a été le premier à donner l’exemple du déserteur, qu’une grande partie des milliards de dollars est allée dans les poches des corrompus, du plus haut de la pyramide jusqu’à la base, que la corruption n’est jamais univoque mais réciproque, que leurs alliés pakistanais et qataris ont joué un rôle déterminant dans le triomphe des talibans et, après leur défaite de 2001, dans leur restructuration et leur résurrection…
Quant aux effets directs du fiasco américain en Afghanistan, ils seront considérables et de portée géopolitique majeure. Déjà amochée par la présidence clownesque de Donald Trump – le signataire des accords de Doha sur le transfert « pacifique » du pouvoir aux talibans -, une présidence qui s’est par ailleurs achevée dans l’invasion du Sénat par des hordes fanatisées, la démocratie américaine n’est plus un paradigme attrayant, encore moins un modèle mobilisateur pour les autres nations du monde. Le déclin de l’hyperpuissance, conjecturé par Hubert Védrine, est en marche et plus rien ne l’arrêtera. Première bénéficiaire de ce déclin, la Chine de Sun Tzu, de Mao Zedong et de Deng Xiaoping, qui trace paisiblement sa nouvelle route de la soie, qui lorgne déjà les richesses souterraines afghanes, un potentiel de 1000 milliards selon des estimations onusiennes, et qui ne va plus tergiverser dans l’annexion pure et simple de Taiwan.
Plus de 80% de l’opium consommé dans le monde
Considérée par les islamistes comme une victoire divine et une revanche posthume de Ben Laden, la chute de Kaboul annonce aussi la retransformation de l’Afghanistan en sanctuaire pour l’internationale islamo-terroriste, des Frères musulmans à Daech en passant par Al-Qaïda, Al-Nosra, Boko Haram… Toutes ces organisations terroristes qui ont voulu détruire la Syrie avec la complicité active des États-Unis et de l’Europe. La civilisation occidentale alliée à la barbarie islamiste ! Avec l’apothéose des talibans, la démultiplication des « égorgeurs d’Allah » dans le monde, notamment occidental, est inéluctable. La prolifération métastatique de la drogue l’est tout autant. Selon un rapport de l’ONU (UNODC) en 2020, 84% des drogues opiacées vendues dans le monde venaient d’Afghanistan. Il faut savoir que pour les narco-talibans, le pavot et l’héroïne constituent à la fois une manne colossale d’argent et une arme de destruction massive de l’ennemi occidental. Anéantir la civilisation de ces pays « décadents » et « mécréants » est un djihad licite, un devoir religieux.
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Cette destruction civilisationnelle s’effectuera également par les invasions migratoires, que certains continuent de couvrir pudiquement par la « libre circulation des personnes » ou le « droit humanitaire ». Depuis 2018, la France accueille chaque année près de 10 000 réfugiés afghans dont on célèbrera bientôt l’intégration de la culture pachtoune, au nom du multiculturalisme et de la diversité. Si le sauvetage des quelques centaines d’Afghans qui ont cru aux valeurs universelles et qui ont prêté main forte aux ONG et aux institutions occidentales est un devoir moral, l’accueil de milliers et de millions de fuyards Afghans serait en revanche une faute politique grave. Ces derniers doivent résister au régime taliban et le premier impératif moral, politique, géopolitique, civilisationnel et sécuritaire de l’Occident serait de les assister par tous les moyens en soutenant le premier des résistants irréductibles : Ahmad Massoud, le fils du légendaire « Lion du Panshir », trahi par l’Occident avant d’être assassiné, deux jours avant le cataclysme du 11 septembre 2001, par deux terroristes tunisiens, réfugiés « politiques » en Belgique après avoir mené le djihad en Tchétchénie ! C’était l’époque où l’islamisme et l’atlantisme faisait bon ménage.
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