Sous cette présidence, on panthéonise à foison !
Le 30 novembre ce sera au tour de Joséphine Baker. Sans aucun doute une femme remarquable à beaucoup d’égards mais je me demande tout de même si à force de banaliser cet honneur après la mort, on ne va plus être assez exigeant avec la vie !
Mais, au risque de me faire reprocher une posture démagogique que j’assume, mon irritation concerne moins le Panthéon que la multitude des destinées qui auront passé leur existence dans la discrétion et se seront effacées dans l’obscurité.
Ceux qu’on panthéonise auront généralement connu les honneurs de leur vivant.
Je voudrais qu’on rende hommage au Français inconnu. Qui est souvent d’ailleurs une Française…
Certes on a déjà notre « soldat inconnu » mais le Français inconnu sera citoyen et en temps de paix.
Il aura vécu, probablement en province, éloigné de Paris et du pouvoir central.
Mère ou père, il aura tenté tant bien que mal de faire vivre sa famille, ses enfants.
Il se sera accroché à son métier ou aura tout fait pour retrouver du travail avec l’angoisse fréquente de se heurter à la crise, à des refus, à la désindustrialisation.
Les fins de mois auront été difficiles.
Il aura été victime d’un vol, on lui aura arraché son sac, il aura du mal à déposer plainte à la police ou à la gendarmerie et il n’aura plus jamais de nouvelles des autorités, de la justice. Il sera indigné mais cela ne servira à rien.
Il aura appris avec horreur les crimes terroristes et naïvement se sera demandé ce que font ceux qui gouvernent.
Il aura appris la fermeture prochaine de l’école de son village, peut-être celle de l’hôpital qui déjà n’était pas tout près. Des commerces auxquels il tenait auront disparu.
Il aura écrit à son député mais sans qu’on lui réponde. Il aura adressé des courriers à des administrations mais en vain. Pas le moindre accusé de réception.
Il aura toujours eu l’impression d’être oublié, abandonné.
Il aura peut-être un jour été invité dans un média, par pure curiosité de la part de l’élite, mais traité avec condescendance, une sorte de mépris distingué.
Il aura trop souvent dû se débrouiller avec des professeurs en grève, protester contre les violences, se plaindre des rackets.
Il se fera du souci pour l’avenir de ses enfants. Sans que son existence soit facile, il aura peur que la leur soit encore pire.
Il aura voté au début puis il aura arrêté. Il ne croira plus aux promesses des politiciens.
Il aura perçu son pays comme s’il était double, divisé. La France officielle, ses droits, ses privilèges et ses lumières, la sienne sombre, injuste, sans espoir.
Il aura été courageux dans sa quotidienneté, il se sera battu autant qu’il aura pu, il aura été reconnaissant pour les aides qu’on lui aura octroyées mais l’un dans dans l’autre il n’aura pas été humainement et socialement heureux.
Il aura eu l’impression que l’argent coule à flots ailleurs mais que c’est comme ça. Il aura douté de l’utilité de la révolte. Il se sera enlisé.
Il n’aura jamais commis le moindre délit et regardant les feuilletons à la télévision ou autre chose, il sera étonné de la publicité faite à des malfaisants.
Il tentera de faire du fil de ses jours des petites joies pour ne pas être trop mélancolique.
Il n’aura jamais été envieux mais tout le temps il sera habité par la sensation d’un « ce n’est pas juste, pas équitable ».
Parfait honnête homme, ayant assumé le moins mal possible ses devoirs, il finira sa vie, entouré d’affection familiale et dans l’anonymat.
Il aura été ce Français inconnu sur lequel les pouvoirs devraient se pencher pour lui rendre hommage.
Comment le reconnaître alors qu’ils sont nombreux à endurer cette grisaille et à combattre un sort qu’ils ne voudraient pas juger fatal ?
C’est simple : il est parmi ceux dont on ne parle jamais, qu’on étouffe, qu’on néglige. Il est Français mais se demande ce que la France fait pour lui.
Il mérite mieux que le Panthéon.
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