Accueil Société Le virus du délabrement

Le virus du délabrement


Le virus du délabrement
Jardin d'agronomie tropicale, au Bois de Vincennes, 17/7/2018 CATERS/SIPA 00868418_000023

Le billet du vaurien


Que dire de cet été qui s’achève avec quelques mesures sanitaires de plus, sinon que je l’ai traversé comme un mauvais rêve ? J’en garderai l’image de ce moineau égaré dans la cage de mon escalier, tentant frénétiquement de s’en échapper, frappant les vitres closes avec son bec et mourant d’épuisement ou de panique sur mon paillasson. Quand j’ai entrepris de le délivrer, il était trop tard. Il est toujours trop tard d’ailleurs quand j’entreprends quelque chose. La lâcheté, la paresse, le sentiment profond de l’inutilité de tout acte me conduisent à cette abstention qu’ensuite je me reproche. Ce n’est que quand le drame s’achève que je comprends qu’il s’agissait d’un drame.

J’aurais certes pu me dire : qu’importe qu’il y ait à Paris un moineau de plus ou de moins? Mais son cadavre encore chaud là devant ma porte, m’interdisait toute esquive.

À lire aussi: Jérôme Leroy, Roland Jaccard, mémoires d’un autre temps

Ma compagne, qui ne manquait pas de mordant, me dit que l’histoire de ce moineau résumait à elle seule l’histoire de toutes les femmes qui m’avaient aimée. Je n’eus même pas le courage de prendre ce petit cadavre encore doux et palpitant dans mes mains et de le descendre dans la cour. Ce fut mon amie qui s’en chargea. Ce qui lui traversa l’esprit pendant qu’elle descendait les six étages, je l’imagine sans peine : je vis avec un irresponsable doublé d’un couard. Mais comme les femmes savent d’instinct que l’irresponsabilité et l’égoïsme sont les deux vertus majeures des hommes, l’affaire en resta là.

Confortablement installé sur mon lit à écouter des slows, j’en arrivai à cette conclusion : tous ceux qui me laissent tomber ont raison; tous ceux qui me démolissent ont raison; tous ceux qui me dépouillent ont raison. Pourquoi ? Parce que j’ai gâché mes chances. Parce que mes ambitions étaient risibles – et que je ne les ai même pas réalisées. Parce que… mais tous ces « parce que » sont également dérisoires et inutiles face à cette évidence: le manque de générosité est ce qui se paie le plus cher dans la vie – et c’est précisément ce dont j’ai manqué le plus. Maintenant que je suis atteint par le virus du délabrement, je choisis comme épitaphe : «  Bon débarras ! »

À lire aussi: Sophie Bachat, Danser le slow: de Napoléon à George Michael

Le monde d'avant: Journal 1983-1988

Price: 27,90 €

11 used & new available from 27,90 €



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Un souvenir avec Michel Déon
Article suivant Pour un émirat inclusif

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération