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A la recherche des descendants des derniers Incas


A la recherche des descendants des derniers Incas
Image d'illustration Unsplash

Il y a aujourd’hui quelque 380 descendants des différents monarques incas. En Amérique du Sud, ils sont toujours capables de faire peur.


C’est en 1982 que trois enfants à la frimousse adolescente, Estéban, Zia et Tao, débarquent sur les écrans des télévisions françaises. De 7 à 77 ans, c’est toute une jeunesse qui va suivre les aventures fantastiques de nos héros partis à la recherche des « Mystérieuses cités d’or ». Générique entêtant, ce manga est flanqué d’un mini-documentaire qui nous fait découvrir, lors de chaque épisode, le mode de vie des Incas, cette puissante civilisation sud-américaine vaincue par les conquistadors au cours du XVIème siècle. Disparus de l’Histoire officielle, l’universitaire Ronald Elward Haagsma est parti à la recherche des descendants de l’empereur Atahualpa, exécuté sur ordre de Pizarro, et dont les héritiers ont encore longtemps résisté aux espagnols. Après des mois d’études, la surprise a été de taille pour ce chercheur néerlandais dont la quête a été suivie par la BBC. Non seulement, ils ont conservé certains privilèges durant toute la période de la vice-royauté, ont été à deux doigts de reprendre leur couronne mais occupent encore aujourd’hui des postes à responsabilité.

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Ronald Elward Haagsma est un auteur reconnu. Historien spécialisé dans la culture indigène d’Amérique du Sud, il a publié Les Incas républicains : l’élite indigène de Cusco entre assimilation et résistance culturelle (1781-1896) qui a fait sa réputation. Passionné par les civilisations précolombiennes, il débarque au Pérou en 2009 avec l’intention de découvrir ce qui est arrivé aux héritiers des souverains incas durant les années de la colonisation espagnole. Une société qui s’est construite sur les ruines d’un empire qui a lui-même assujetti tous les peuples de la Cordillère des Andes. Il s’est mis à étudier plus de 150.000 documents et pris le temps d’interroger les membres de 35 familles apparentées à la « Casa real incaïca » qui vivent près de Cusco, l’ancienne capitale du Tahuantinsuyu. Si on doit aux conquistadors Francisco Pizarro et Diego Almagro cette conquête en 1532, plus tard galvaudée par leurs enfants qui s’entre-déchireront, les princes incas qui ont survécu aux massacres se sont réfugiés dans une région accidentée à la végétation luxuriante. Dans leur « royaume perdu » de Vilcabamba, les Incas rebâtissent leur civilisation et vont résister encore un demi-siècle aux Espagnols avant que le dernier souverain, Túpac Amaru Ier, ne soit pris et exécuté avec tous ses enfants. Dès lors, leurs descendants sont priés de prêter allégeance au roi d’Espagne. C’est un travail de longue haleine qui a été effectué par Ronald Elward Haagsma et qui a abouti en 2014 à l’identification de 380 descendants des différents monarques incas. On a même pu redécouvrir l’histoire palpitante des héritiers d’Atahualpa et de Manco Capac II, son successeur au tragique destin, assassiné en 1545 par un des fils d’Almagro.  

Appelée aussi « Ayllu Real », la maison royale inca se divise en plusieurs branches et comptent parmi ses descendants des noms illustres tel que le président bolivien Hernan Siles Zuazo, le président péruvien José Luis Bustamante Y Rivero, Miguel Juan Sebastián Piñera, actuel dirigeant du Chili (qui descend de l’empereur Túpac Yupanqui), ou encore la reine Maxima Zorreguieta des Pays-Bas. Assimilés ou rebelles à l’autorité espagnole, ils ont participé à tous les grands évènements historiques du continent. Y compris lors des guerres d’indépendance qui ont amené une société largement créolisée à s’émanciper de la tutelle de Madrid dans la première moitié du XIXème siècle. On pense même à eux pour des trônes en devenir quand ils ne tentent pas de les récupérer par leurs propres moyens comme avec la « Grande rébellion » aux relents messianiques de Túpac Amaru II (1780-1781). Un nom qui n’est pas inconnu des aficionados de 2Pac puisque ce rappeur avait repris de son vivant le nom du cacique indien. En Argentine, au cours d’un congrès organisé en 1816, un des héros de la révolution, Manuel Belgrano, réussit à imposer l’idée de recréer une monarchie inca avec à sa tête le prince Dionysos Yupanqui, député du Pérou. Un projet qui recueillera l’adhésion du Haut-Pérou et du Nord-Ouest mais pas de Cuzco ni de Buenos Aires. Un coup d’État viendra mettre fin à ces rivalités, enterrant tout espoir de revoir un Inca au pouvoir.

« Je me souviens que lorsque j’ai commencé à publier quelques articles sur mes découvertes, dans un journal péruvien, j’ai été très choqué de recevoir des messages de personnes me conseillant fortement de ne rien publier plus sur ce sujet, car ils ne voulaient pas que les Indiens pensent qu’ils étaient encore importants » explique Ronald Elward Haagsma. Le chercheur révèle qu’il existe encore une certaine animosité persistante au Pérou contre les descendants des Sapas Incas, réunis aujourd’hui au sein de l’association du « Conseil des 4 Incas ». « Parce qu’on les a rendu invisibles, ils ont été transformés en objets de collection ou en folklore, et [pour leurs opposants] ils sont devenus des personnes de chair et de sang avec des sentiments, des pensées, des opinions, des droits, des histoires et qui vivent pourtant dans le présent » poursuit-il. « D’ailleurs, ils ont été élus à des postes prestigieux y compris à la tête de villes. Il y a et il y a eu plusieurs initiatives de reconnaissance officielle, mais généralement provenant toujours d’un groupe restreint, n’arrivant pas à susciter beaucoup d’intérêt localement » renchérit Ronald Elward Haagsma avec une pointe de regret.

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En Amérique du Sud, les descendants des Incas font encore peur. La prophétie d’Inkarrí, qui prédit « le retour d’un Inca entreprenant de redresser le monde injuste et qui serait un symbole d’unité », a continué de traverser les siècles et s’ancrer profondément dans le subconscient collectif. Et s’il est difficile de déterminer qui pourrait être le prochain fils du soleil, tant chaque branche peut revendiquer cet héritage, les Incas continuent d’assurer par leur présence discrète la préservation de la culture inca au cours de cérémonies officielles. Comme celle de l’Inti Raymi, la fête du soleil qui a lieu au solstice d’hiver, dans les ruines de la forteresse de Sacsayhuamán, un important temple religieux qui attire des milliers de touristes chaque année.



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Journaliste , conférencier et historien.

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