La carte postale de Pascal Louvrier
Le soleil rosit la pierre de la croix. Un ami m’écrit qu’à 17 ans on croit que les blessures d’un chagrin d’amour vous tuent. Aujourd’hui, elles précipitent le vieillissement. Je sors mon couteau et coupe en quatre la pizza.
Une habitude. Je bois un verre de rosé dans la tiédeur du soir.
Un roman de 1973, publié pour la première fois en France en 2021
Je termine Le dernier été en ville, de Gianfranco Calligarich, un roman paru en 1973. C’était chouette les années 1970. On conduisait des voitures de sport dans Paris en fumant une Lucky Strike, coude à la portière, une blonde en mini jupe sur le siège de cuir blanc. On écoutait du jazz dans des caves enfumées, les uns contre les autres. On lisait Sagan, Déon, le vieux Morand sans avoir à justifier nos goûts littéraires. On était libres.
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Les fonctionnaires hystériques de la cancel culture n’existaient pas. On pouvait aimer Aragon et Drieu la Rochelle sans risquer la mise à mort décrétée par des twittos incultes. Mais je digresse. C’est la faute à Montaigne. Le roman que j’achève de lire vient d’être publié pour la première fois en France en 2021. Cela devrait rassurer les auteurs dont les romans ne dépassent pas les cent exemplaires vendus. Un jour, leur œuvre sera peut-être culte. Ils seront morts, mais ça n’a pas d’importance. L’essentiel est de postuler posthume. De toute façon, on écrit parce qu’on a raté quelque chose.
Gianfranco Calligarich, ou la fêlure
C’est donc un roman splendide, crépusculaire, à fortes radiations mélancoliques. Il est construit autour de Leo, 30 ans, Milanais lettré un peu paumé, sans réelle volonté. Il erre dans Rome à la fin des années 1960. Il picole, traîne son ennui, comme un personnage de Scott Fitzgerald, avec fêlure profonde. Il jette un regard sans complaisance sur le monde et son théâtre d’ombres. Il sait que l’amour rime avec aporie. Sa quête est avant tout dictée par le plaisir. Il est donc coupable aux yeux de la société. Leo rencontre Arianna, brune piquante, étudiante en architecture. Il va l’aimer. Trop l’aimer. Sans que le mot amour ne soit jamais prononcé. Devant elle, il est tétanisé. L’impuissance le mine. « Elle arriva avec moins de vingt minutes de retard sur le trottoir écrasé de soleil, écrit Leo. Ses talons s’enfonçaient dans mon cœur. Elle portait une robe à rayures blanches et bleues, je n’avais jamais rien vu d’aussi frais. » Le rêve métamorphose la réalité. La femme devient une fatale apparition. Le destin abat ses cartes. Depuis Sophocle, on sait qu’elles annoncent le malheur. Rome est également un personnage à part entière, comme dans un film de Fellini. C’est la ville éternelle qui vit sur les vestiges d’un passé glorieux. Mais depuis Chateaubriand nous n’ignorons plus que les ruines nous écrasent de tristesse. « De grandes lézardes sillonnaient les murs des bâtisses, les crépis se détachaient et, en marchant dans les rues, on pouvait voir à travers les fenêtres les plafonds historiés partir en miettes. »
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Une fois refermé ce roman poignant, le parfum lilas d’Arianna semble s’être durablement déposé sur nos mains. Un peu comme celui de la femme enfuie demeure dans les plis de ma mémoire.
Une dernière phrase de Calligarich, âgé de 74 ans : « Je fus réveillé par le silence. » Un vrai écrivain.
Gianfranco Calligarich, Le dernier été en ville, traduit de l’italien par Laura Brignon, Gallimard.