La haine au nom de la tolérance, l’apartheid au nom de l’antiracisme, la détestation des hommes au nom de l’égalité des sexes : le progressisme est passé maître dans l’art de l’oxymore. Et bien sûr, il ne voit aucun rapport entre l’islam et les meurtres commis en son nom. Dans ce monde magique, mieux vaut ne pas être buraliste, homme blanc, hétérosexuel ou rouler au diesel.
Il faut désormais une bonne dose de vanité pour débattre avec la frange extrême du progressisme, ces néofascistes de la tolérance. Tenter d’argumenter à l’encontre de leurs convictions paraît les persuader, au contraire, de la pertinence de celles-ci – nier par exemple l’existence d’un racisme systémique constitue à leurs yeux une preuve éclatante de la réalité de cette quatrième dimension du racisme. L’ensemble de leurs thèses forment ainsi un authentique garrot : discuter avec des progressistes revient à s’étrangler, de rage certes, mais également à suffoquer jusqu’à reductio ad moustache et mèche. Autant essayer de persuader un adorateur de Krishna que ce dernier peut (au mieux) s’esclaffer en observant ses fidèles. S’il y a un dieu des progressistes, lui aussi passe de sacrés bons moments, à n’en pas douter.
Alors, faisons comme ces divinités, et tant qu’il nous reste un souffle, rions aux éclats devant les inepties que le wokisme nous inflige. Surenchère permanente, sophismes indigents, mensonges éhontés, le progressisme a des allures de lancer de deux poids, deux mesures catégorie olympique. Soucieux en théorie de protéger toutes les victimes de la moindre souffrance – un projet en soi dément et totalitaire –, il n’est cependant pas très compliqué d’identifier les critères restreints qui permettent de bénéficier de ce statut enviable. Il faut en effet se lever de bonne heure pour trouver un mâle blanc hétérosexuel éligible au rang de victime défendable.
À lire aussi: Paris, la poubelle ville du monde
Le fait divers constitue une bonne entrée en matière pour cet inventaire (qui, exceptionnellement, ne convoquera pas Jacques Prévert). On les connaît ces histoires de bijoutiers ou de buralistes régulièrement cambriolés – la cartouche de clopes à 100 euros, magie des taxes, attire plus les visiteurs nocturnes que le pétrin du boulanger. Au bout de 20 cambriolages et dix années d’insomnies, des vendeurs de Gitanes finissent par s’armer et des drames par survenir. D’un point de vue progressiste, déjà mal à l’aise avec la notion de légitime défense, ce genre d’affaires sert au mieux à dénier tout bien-fondé à l’autodéfense. On soulignera d’un ton grave le danger de se faire justice soi-même. Salaud de buraliste, surtout s’il a tiré dans le dos de ses braqueurs. Admirable dévotion à l’État de droit.
Intéressons-nous maintenant à Jacqueline Sauvage – une femme à qui son mari a fait vivre un enfer pendant vingt ans. Chacun sait qu’elle a tué son époux, sans être en état de légitime défense au moment des faits, d’un coup de fusil dans le dos qui plus est. Non seulement libérée, mais graciée (elle n’a, ce faisant, juridiquement commis aucun crime), il n’en demeure pas moins qu’elle s’est fait justice elle-même, sous les applaudissements des féministes et d’une gauche qui continuera à dispenser ses leçons aux buralistes. Oui, mais c’était une femme. Si seulement Charles Bronson dans Un justicier dans la ville avait eu l’idée de passer une jupe, il aurait le droit à un hors-série de Télérama.
Plus récemment, le Covid a donné lieu à quelques amusantes contorsions racialistes. Constatant que les Noirs américains mouraient plus du Covid que les autres ethnies, les tenants du racisme systémique ont alerté les foules sur le mode du quasi génocide en cours. Vérification faite, qu’on fût jaune, blanc ou noir, la mortalité du Covid suivait une courbe inversement proportionnelle aux revenus. Les pauvres ne bénéficiant pas du même accès aux soins – surtout aux États-Unis –, l’explication de la surmortalité des Noirs avait tout à voir avec l’économie, mais rien (heureusement) avec l’ethnie ou la culture. L’argument économique reste toutefois recevable en wokisme lorsque les minorités ethniques ne se trouvent plus victimes mais coupables, par exemple, d’une surreprésentation dans les prisons. Las, ce que l’on constate pour le Covid ne fonctionne plus pour la criminalité. À revenus égaux, en France cette fois, les Polonais, les Vietnamiens, ou plus simplement les Ariégeois demeurent moins délinquants que les communautés d’origine nord-africaine ou subsaharienne. Mais à cette sulfureuse corrélation, on préférera pour le coup l’explication économique. Plus confortable, plus « vivre ensemble » – sans oublier bien sûr le fait que la pauvreté relative de certaines minorités démontre, s’il en était besoin, ce racisme systémique qui les appauvrit ou les met en prison.
Les responsables des malheurs des minorités doivent toujours être cherchés au sein du « groupe majoritaire » (peu coloré, peu musulman, en charge du système et de son racisme – indubitablement l’affaire est bien conçue). Il ne peut jamais y avoir d’ivraie dans l’immigration et ses descendants. Établir une relation entre les musulmans et le terrorisme fut concédé à regret par les tenants du total-bisounoursisme, à l’unique condition de ne faire aucun lien entre islamisme et islam – ce qui nécessite une agilité intellectuelle peu commune. Cette concession à la réalité du Bataclan ou de l’Hyper Cacher n’alla toutefois pas jusqu’à tolérer un parallèle quelconque entre immigration et terrorisme. Tentons quelques instants de nous conformer à cette vision irénique.
À lire aussi: Mathieu Bock-Côté: l’invitation au combat anti-woke
Si on observe un rapport entre terrorisme et islam, et si l’on n’en détecte en revanche aucun avec l’immigration, alors que sa composante musulmane se révèle toujours plus massive, le terrorisme musulman ne peut qu’être 100 % endogène. Malheureusement, de nombreux attentats ont pourtant bien été commis par des salopards récemment arrivés sur notre territoire. Rien donc, pas même la cruauté des faits, ne saurait altérer la chance que constitue l’immigration pour les progressistes les plus fanatisés. Et ces derniers demeurent insoupçonnables de complaisance à l’égard des djihadistes. Protection dont ne bénéficie bien sûr nullement la frange des politiciens ou des intellectuels plus réservés quant à la félicité des migrations. Le terroriste de Rambouillet consultait ainsi régulièrement les textes ou vidéos de l’impayable Jean-Luc Mélenchon. On l’a su mais par décence, personne ne s’est permis d’établir un lien entre les délires du Che hexagonal et le criminel. Renaud Camus n’a pas eu droit aux mêmes pudeurs lorsque le terroriste de Christchurch a été arrêté à des milliers de kilomètres, en possession d’un document faisant référence au « grand remplacement » qu’il avait théorisé. On imagine les réactions si Renaud Camus avait suggéré que Brenton Tarrant (l’assassin de Christchurch) avait tout d’un agent téléguidé par les Frères musulmans. Tandis que Méluche peut sous-entendre que Merah fut le jouet des plus hautes autorités de l’État et continuer à prétendre à l’Élysée.
Géométrie plus hallucinée que variable, la logique progressiste réclame une grande mansuétude dans l’acclimatation des musulmans aux mœurs laïques et démocratiques de nos contrées. Elle souligne à dessein le temps nécessaire aux catholiques pour accepter la prééminence du droit républicain sur le droit canon. A contrario, aucun délai ne semble négociable par les Hongrois, les Polonais, ni les Tchèques. Sommées de devenir des sociétés multiculturelles gay-friendly aussi épanouies que les nôtres, on n’hésitera pas à recourir au chantage financier pour les contraindre à vivre au paradis multicul (un peu comme si on leur supprimait les allocs en raison de leur mauvais état d’esprit). Pourtant, prisonniers du glacis soviétique de 1945 à 1989, congelés derrière le rideau de fer, ils ont longtemps été bien à l’abri des mouvements migratoires observés en Europe de l’Ouest. Personne au sein du bloc communiste n’envisageait d’accueillir l’Afrique en son sein. De leur côté, force est de reconnaître qu’à Alger ou Rabat, on fantasmait avec discrétion sur Novossibirsk. On pourrait donc concéder que le choc culturel auquel on veut soumettre les ex-pays de l’Est mériterait un minimum de compréhension. Depuis la chute du mur, il serait même loisible de qualifier leur conversion au sociétalisme occidental de remarquable. Mais sans doute n’ont-ils ni la bonne religion ni la couleur de peau idoine pour justifier la compassion de nos si tolérants progressistes.
On a d’ailleurs pu observer les ravages de l’extrémisme « éveillé » dans les universités américaines de Georgetown ou d’Evergreen. Toute la gauche jadis traumatisée par le maccarthysme ne trouve rien à redire à l’inquisition idéologique qui règne aujourd’hui sur les campus. Et ce, même lorsque, à Evergreen, les sièges ou la nourriture ont fini par être réservés aux Noirs de préférence aux Blancs – l’apartheid au nom de l’antiracisme, un comble. À l’aune de cette logique mortifère, l’Afrique du Sud d’antan pourrait être présentée par un esprit taquin comme un vaste safe space pour Blancs.
À lire aussi: Facs, recherche: elles voient des machos partout !
Mais la logique, justement, relève désormais de la « science des Blancs » comme le crachaient à la face d’un professeur juif les enragés d’Evergreen. On peut légitimement s’asseoir dessus. Ceci fait, on fera sienne la double assertion suivante. Premièrement, Simone de Beauvoir nous l’a bien dit : « On ne naît pas femme, on le devient. » Deuxièmement, l’homosexualité se rattacherait non à l’acquis, mais à l’inné. Je peux donc naître biologiquement femme et homosexuelle. Je grandis, mon genre s’affirme, je suis en définitive un homme. Mais j’aime les femmes, c’est inné. Je suis ipso facto hétérosexuel, malgré mon homosexualité congénitale. Enchaînement difficile à bien maîtriser, surtout en cas de terrain favorable aux céphalées.
Plus regrettables encore, ces insultes à la rationalité ne se limitent pas à l’intime, mais s’appliquent à des domaines jusqu’à présent soumis aux exigences factuelles de la science. Les questions environnementales et plus particulièrement celles de l’énergie ne devraient pas souffrir de raisonnements boiteux. Nos Verts français, à qui on a concédé le discours écologique comme on a abandonné la Nation à la famille Le Pen, se piquent désormais de décarboner notre économie. Objectif louable, car on n’aura pas la bêtise de nier les multiples défis liés à la pollution planétaire, mais qui passent selon eux par le renoncement au nucléaire – l’énergie la moins émettrice de carbone. Derrière ce qui se nomme une fumisterie se cache l’agenda de la décroissance – et ses millions de victimes prévisibles, autrement plus nombreuses que celles de l’atome. On est toutefois prié d’acheter comptant (content aussi) l’idée de décarboner tout en augmentant les émissions de gaz à effet de serre, à l’instar de l’Allemagne après Fukushima. Moins égale plus chez nos progressistes verts, ce qui permet indubitablement d’être imaginatif à défaut de viser la médaille Fields.
« Sous les pavés, la plage », on l’a appris en mai 1968, mais à l’époque, c’était encore de l’humour. En 2021, il s’agit désormais de géologie intersectionnelle, sans doute prochainement au programme d’un cursus décolonial à Sciences-Po. Les progressistes du boulevard Saint-Michel creusent avec le sérieux d’un.e baigneur.se pentecôtiste. Pouffons.