La restauration des peintures d’Hippolyte Flandrin dans l’église Saint-Germain-des-Prés, à Paris, est prolongée par une rétrospective des œuvres de cet artiste et de ses deux frères, au musée des Beaux-Arts de Lyon. L’Église catholique a bien changé, hélas, depuis l’époque où elle faisait cause commune avec la création.
Hippolyte Flandrin (1809-1864) a la chance d’avoir un père qui aurait aimé être peintre. Ce dernier communique sa passion à ses trois fils qui deviennent peintres et auront à leur tour beaucoup de descendants artistes. Hippolyte, le plus connu des fils, est élève d’Ingres dont il dépasse vite l’enseignement un peu sec. Il laisse des peintures de chevalet parfois très originales et des séries d’aquarelles particulièrement libres. Toutefois, il est surtout apprécié pour ses grands cycles décoratifs dans des églises.
La religion en BD
Saint-Germain-des-Prés est sans doute son grand-œuvre. Sur tous les murs, il peint des scènes bibliques rehaussées de décorations multicolores. Tout est traité de façon simple, lisible et dans des coloris francs. Il s’agit de peintures à la cire imitant la belle matité de la fresque dont la technique est perdue à cette époque. D’image en image, on progresse dans une narration limpide. L’église est peinte et colorée des pieds à la tête. Quand on y entre, indiscutablement, c’est une belle surprise. On a l’impression de pénétrer ni plus ni moins dans une bande dessinée en grand format.
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L’Église catholique se singularise parmi les monothéismes par son lien fort avec les images. Elle s’affranchit du deuxième commandement et prend ses distances avec l’iconoclasme byzantin. Avec la Contre-Réforme, elle mise encore davantage sur l’art pour reconquérir les cœurs.
Dans le monde catholique, les arts visuels prennent une importance civilisationnelle. On en vient à se demander si c’est l’art qui donne chair à cette religion ou s’il n’est vraiment qu’un sous-produit de cette dernière. En réalité, les deux thèses peuvent être soutenues, même si, évidemment, seule la seconde est admissible pour les fidèles. C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Toujours est-il que le catholicisme moderne, si indigent au plan artistique, fait parfois figure de pauvre poulet déplumé.
Les catholiques, des protestants comme les autres ?
Durant le XXe siècle, des prêtres célèbrent des messes improvisées des camps scouts aux réseaux de résistance. Les fidèles et l’officiant forment un cercle autour d’une table de fortune servant d’autel. Ce modèle laisse toute sa place au ministère de la parole et au sentiment de constituer une communauté vivante, mais il exclut tout décor et tout art. Cette expérience radicale enthousiasme certains. Ainsi, le père Couturier (1897-1954), directeur de la revue L’Art sacré, déclare-t-il : « Si le pape Pie XII voulait rendre un vrai service à l’art chrétien, il interdirait pour cinquante ans toute espèce de peinture, sculpture ou architecture religieuse. Plus rien. Petit à petit, cela assainirait l’atmosphère. » Sans être aussi radicale, la nouvelle liturgie du concile Vatican II (1962-1965) s’articule autour d’un simple autel-table complété par un ambon (pupitre). Tout décor risque de distraire l’attention des fidèles. « À l’église, recommande Hélène Lubienska de Lenval, il ne faut avoir d’yeux que pour l’autel. Quand on a envie de regarder autour de soi, il est bon de faire un petit signe de croix […] et de penser : détourne mes yeux pour qu’ils ne voient pas la vanité. » On veut aussi éviter que des sculptures figuratives trop addictives suscitent des formes de dévotion populaires « mal réglées ». On privilégie les églises rondes plaçant tous les participants à égalité. En outre, les églises anciennes sont parfois perçues comme des sortes de garde-meubles pénalisants.
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Les églises postconciliaires sont parfois dénuées de clocher et se fondent dans la ville comme s’il s’agissait de loger de simples associations. L’accent est souvent mis sur une contemplation épuratrice. La chapelle créée par Mark Rothko à Houston (1971) relève de cet état d’esprit. Il s’agit d’un octogone de béton sans fenêtre et tapissé de monochromes sombres. Elle fonctionne à la façon d’un caisson de décompression. L’idée est la suivante : la vie moderne est agitée, ses vicissitudes encombrent l’esprit, on est saturé de bruits et d’images, il est donc souhaitable, de temps en temps, de venir dans une église pour faire le vide.
Succursales du ministère de la Culture
Petit à petit un certain désir d’art et de visibilité refait surface. Quelques opérations voient le jour, comme la construction de la cathédrale d’Évry (1995). Des tentatives de retour à la figuration ont même lieu dans le sillage de l’expressionnisme, mais ce sont des fiascos : les fidèles ne supportent pas les déformations et mutilations grossières du Christ. C’est probablement ce qui jette le clergé dans les bras de l’abstraction, pourtant contraire au principe d’Incarnation. On observe également une pullulation de reproductions d’icônes orthodoxes.
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À partir des années 1980, le ministère de la Culture place dans les églises des œuvres des artistes contemporains qu’il soutient. Parfois, les fidèles protestent devant un minimalisme moderniste qui les surprend. C’est le cas à Conques avec les vitrages de Pierre Soulages. Il arrive aussi que l’artiste exprime son mépris pour les goûts populaires. Ainsi Claude Rutault intervient-il à Saint-Prim (Isère) pour bâcher le chemin de croix et les statues saint-sulpiciennes préexistantes. La plupart du temps, les fidèles paraissent peu intéressés par les œuvres parachutées dans leurs murs, mais considèrent qu’en accueillir est une bonne action.
À voir absolument
« Les Flandrin », musée des Beaux-Arts de Lyon, jusqu’au 5 septembre
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