Plus un gouvernement ou un enfant sent son pouvoir ou le sable couler entre ses doigts, plus il ferme la main…
« Centrisme autoritaire » est la jolie formule par laquelle Natacha Polony, il y a plus d’un an, qualifiait le régime d’Emmanuel Macron. On y sentait la tentation de l’oxymore, cette alliance de mots contradictoires — style l’« obscure clarté » du grand Corneille. Le centrisme, cela vous évoque le juste milieu, l’équilibre entre les extrêmes — entre l’autoritarisme, justement, et le laissez-faire. Alors, « centrisme autoritaire » marque une bascule inquiétante.
Il faut savoir oser aller plus loin, quand les faits l’exigent. Ce n’est pas d’autorité que prétend faire preuve Napoléon IV. Il se veut souverain absolu — ce qui, dans une république, s’appelle une dictature. Et inutile d’invoquer Montesquieu pour savoir que le totalitarisme est la tentation première de la tyrannie.
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Alors, je sais — pour avoir fréquenté de vraies dictatures, en Espagne ou en Grèce — que je flirte avec les métaphores, tout comme ceux qui identifient le passe sanitaire à l’étoile jaune flirtent avec l’hyperbole. Mais il faut analyser la structure de ce régime.
Le roi a failli
Plus un gouvernement ou un enfant sent son pouvoir ou le sable couler entre ses doigts, plus il ferme la main. Les gilets jaunes, qui ont bien failli prendre l’Elysée d’assaut, ou les manifestations anti-réforme des retraites, sans compter nombre d’« affaires » peu reluisantes, avaient écorné singulièrement l’autorité du chef de l’Etat — parce qu’à force d’occuper sans cesse l’espace médiatique, il ne laisse aucune responsabilité à ses ministres. On disait autrefois « le roi ne peut faillir », parce qu’il était une personne sacrée, et que les fautes éventuelles étaient celles de ses ministres. Mais quand le « souverain » s’expose tous les quatre matins sur les ondes et regarde dans les yeux 65 millions de Français, il perd de son aura sacrée (vous imaginez De Gaulle occuper la télé parce que la France avait la grippe ?) et prend sur lui d’assumer sa politique. Il n’y avait déjà plus de fusible.
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Mais ça, c’était avant le Covid. La peur que ces gens-là ont voulu instiller dans la population n’est que le reflet de leur propre trouille. L’affaire du sang contaminé plane au-dessus de ces puissants impuissants. Tout faire, oser toutes les gesticulations, affirmer tout et son contraire pour éviter que la faute retombe sur eux.
Une folle multiplication arbitraire
Un jour, le masque, un autre le confinement, l’économie à genoux, les spectacles interdits, les bars fermés, les orgies limitées à des parties carrées, l’interdiction de critiquer la politique suivie, pour fluctuante qu’elle soit. Puis le vaccin qui, suprême hypocrisie, n’est pas obligatoire, mais enfin, si vous n’avez pas l’ausweis requis, vous ne pourrez même pas acheter du pain, sans parler du café du matin. Le resto où je suis allé hier soir (chez Paule & Kopa, l’une des bonnes adresses de Marseille, cours d’Estienne d’Orves), en expliquant au patron que c’était la dernière fois avant longtemps, va sans doute fermer, parce que, m’ont-ils expliqué avec un grand bon sens, ce n’est pas à eux de vérifier l’identité et l’état sanitaire de leur clientèle, et qu’ils ne peuvent s’exposer aux amendes monstrueuses imaginées par des gens que l’on sert gracieusement dans les cantines ministérielles. Et que dans une ville qui a fait de la rebellitude, comme dirait Ségolène, un art de vivre depuis 2000 ans, il y aura plus de réfractaires que de vrais vaccinés.
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Ne pas pousser à bout
Macron devrait se méfier — et relire les grands classiques, s’il les a parcourus un jour. À tout interdire au peuple, on le pousse à tout se permettre. Les manifestants de samedi dernier — 5000 personnes, en plein été, record à battre — chantaient la Marseillaise, que Pétain avait fait interdire — si vous voyez ce que je veux dire. Et régulièrement ils s’interrompaient pour appeler « aux armes ! » Une métaphore, certainement. Mais quand on interdit tout au peuple, il finit par prendre les métaphores au premier degré – et à tout se permettre. Et quand les bornes sont franchies…
Peut-être vous rappelez-vous cet admirable polar de Jim Thomson intitulé 1275 âmes — au cinéma, Coup de torchon de Bertrand Tavernier. C’est Raymond Queneau lui-même, alors directeur de la Série noire, qui en avait assuré la traduction. Et en préface de cette histoire où un flic fou se prend pour Dieu le Père, il écrivait : « Si à Ploucville ou ailleurs le pouvoir rend fou, l’absolu pouvoir rend absolument fou. »