Edouard Philippe est un mystère. Est-il en train de tisser sa toile ?
Un livre écrit avec un fidèle, un documentaire avec un ami de gauche d’hypokhâgne
Edouard Philippe est un mystère. Grave, concentré, souriant, désinvolte, décontracté, sympathique, profond par intermittences, léger par pudeur, ambitieux mais sans vulgarité, sans arrogance ni fausse humilité, il est certain d’avoir été un bon Premier ministre, mais sans forfanterie. Il est conscient d’avoir dû assumer durant trois ans une tâche immense aux multiples facettes, obligations, services et crises, et est encore saisi aujourd’hui par cette folie intense du quotidien, y revenant à plusieurs reprises comme s’il était encore tout étonné d’en être sorti vivant. Fier, en définitive, de son passé, heureux d’être maire du Havre, de son présent avec son tour de France pour faire la promotion de son livre étrange, original et subtil, écrit avec son inséparable Gilles Boyer, tendu vers un avenir dont bien malin sera celui qui pourra nous dire l’image qu’il s’en fait.
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Edouard Philippe est un mystère. Sa prestation, durant presque trois heures, le faisant répondre à son ami Laurent Cibien l’ayant suivi au quotidien à Matignon pour le documentaire « Aux manettes » sur France 5 est un grand moment de télévision passionnant sur les rapports du président de la République et du Premier ministre, sur leur division du travail et de l’autorité, sur l’exercice du pouvoir, sur le tempérament français, sur les défis gravissimes qui seraient négligés par des irresponsables, notamment la dette et le réchauffement climatique, sur notre démocratie, sur la manière à la fois souple et ferme dont il a cherché à gérer le cadeau politique d’Emmanuel Macron, sur sa conception très républicaine du changement de fonction.
Pour les LR, un traître
Edouard Philippe est agaçant car dur à étiqueter : il peut sembler comme tous les autres mais souvent, de manière décalée, il rappelle qu’il est singulier. Il ne se force pas à avoir des bouffées d’atypisme, c’est lui dans sa vérité et, plutôt que de se mutiler, il tient à demeurer cette personnalité à la fois classique pour sa vision économique et sociale mais originale par beaucoup de traits, d’intuitions et de fulgurances qui le placent ailleurs. Il a les pieds sur terre mais je sens sa tête dans des nuages poétiques ou romanesques. Le réel le guide mais ne l’étouffe pas. Il bouge.
Mais dans quelle direction ? On a bien compris que, ayant craché sur les Républicains qui l’accusaient de trahison, ce parti ne sera plus jamais son futur, aussi désiré qu’il puisse être in petto par certains.
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Si Emmanuel Macron se représente comme c’est probable, il ne se lancera pas dans la joute présidentielle contre lui. Il est loyal et ses divergences ne sont pas telles qu’elles justifieraient une sorte de coup de force de sa part. Alors faut-il considérer, comme Gérard Collomb que « s’il fait une tournée en France, ce n’est pas parce qu’il a besoin d’argent et qu’il veut vendre des livres. Mais parce qu’il se prépare… au cas où » ?
2022… 2027…
Je ne crois pas à 2022 même si je ne suis pas dans le secret d’Emmanuel Macron et de l’énigmatique et maîtrisé Edouard Philippe. Mais 2027 ? L’ancien Premier ministre tisse une toile mais de quoi est-elle faite, quels songes, quels rêves, quels desseins porte-t-elle en elle ? On n’en sait rien. Parce que le tour de force d’Edouard Philippe est de sembler nous répondre mais de ne rien nous dire sur son destin. Mystère mais mystère courtois, aimable, avec de l’allure, avec beaucoup de pensées, mais bien plus : des arrière-pensées. Celles qu’on aimerait connaître mais dont il nous privera. Je ne parviens pas à m’enlever de l’idée qu’un jour il ne détestera pas prendre la France à témoin.
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