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Quand les juges se déjugent


Quand les juges se déjugent

En lisant le billet de Guillaume Roquette dans le dernier numéro de Valeurs Actuelles, j’apprends que cet aimable hebdomadaire, peu coutumier des scandales et des prétoires vient d’être lourdement condamné. Par qui ? La Cour d’Appel de Colmar, le 26 février dernier. A quel motif ? Pour atteinte à la présomption d’innocence. Au bénéfice de qui ? Du violeur multirécidiviste et assassin d’enfant Pierre Bodein, à qui Valeurs devra verser de conséquents dommages et intérêts au titre du « préjudice moral ».

Avant que comme moi, vous soyez saisi d’un haut-le-cœur, heureusement contrebalancé par une brusque poussée d’adrénaline, un bref rappel des faits.

Né en 1947, Pierre Bodein dit « Pierrot le fou » fréquente régulièrement les prisons françaises depuis l’âge de 22 ans du fait, notamment, de son goût récurrent pour le viol avec violence. En 1994, il est condamné à 30 ans de réclusion. Mais après moult péripéties judiciaires (dont une cassation) et maintes remises de peine (pour bonne conduite, et ça ce comprend, il n’y a pas de petites filles en centrale), il sortira de prison dès mars 2004. À peine quelques mois plus tard, il est arrêté à nouveau puis mis en examen pour les enlèvements, viols et meurtres d’une jeune femme et deux petites filles. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en juillet 2007, il fait appel, est rejugé et recondamné à la même peine en octobre 2008.

Quant au délit reproché à Valeurs Actuelles, c’est d’avoir publié en janvier 2008 – entre les deux jugements donc – un article décrivant Bodein comme un criminel dangereux. L’appel de Pierrot le fou étant suspensif, celui-ci a estimé que sa présomption d’innocence avait été violée et qu’on lui devait donc des dommages et intérêts pour contrebalancer, si cela se peut, cet irréparable outrage. Il s’est trouvé des magistrats assez ahuris pour estimer – après la confirmation de la peine en appel ! – pour abonder dans le sens du malheureux tueur d’enfants.

Ahuris, les juges de Colmar qui ont condamné nos confrères ? C’est l’hypothèse la plus favorable : à leur décharge, on voudrait les imaginer comme ça. Blancs de poulets élevés en batterie à l’Ecole nationale de la Magistrature, mi-gogols, mi-droitdelhommistes, clones propres sur eux de Fabrice Burgaud, « magistrats en bois brut » que décrivait Brassens dans Gare au gorille. Mais il n’est pas sûr que leur ignominie mérite de telles circonstances atténuantes. Car, en vérité, l’article de Valeurs incriminé n’avait pas dans son collimateur le tueur-violeur, qu’on avait juste oublié de qualifier de présumé violeur et supposé tueur de fillettes. L’article en question mettait le doigt sur un point de droit qui n’a rien de byzantin : la tendance lourde qu’ont certains magistrats de ce pays à remettre en liberté les criminels sexuels bien avant la fin de leur peine.

On ne pourra donc pas m’ôter de l’esprit que les juges qui ont condamné Valeurs Actuelles ont avant tout sévi contre un article qui leur mettait leur caca laxiste sous le nez. Cela s’appelle de la justice privée : on est aux franges du règlement de compte corporatiste et pour tout dire, de la forfaiture.

Maintenant qu’on vous a tout raconté et qu’on s’est un peu calmé, on va donc dire les choses tranquillement

Oui Valeurs Actuelles a violé la loi sur la présomption d’innocence, ce qui dans ce cas précis, valait un froncement de sourcil du juge suivi d’une relaxe, ou, au grand maximum, histoire de rappeler que le droit s’applique aussi à la dernière des raclures, disons, un euro symbolique de dommages et intérêts. Il s’est trouvé des magistrats pour penser le contraire.

Oui, s’il ne s’était pas trouvé, un magistrat pour décider en 2004 au nom du peuple français, qu’il était indispensable de remettre en liberté le serial violeur Pierre Bodein, deux petites filles et une jeune femme seraient encore en vie. Je ne connais pas le nom de ce magistrat, je n’ai même pas cherché à le connaître, et l’eussé-je connu, je ne sais pas si je l’aurais donné. D’abord, parce que je n’aime pas dénoncer et ensuite parce que si l’envie lui prenait de m’attaquer pour diffamation, atteinte à son honneur, violation de sa vie privée, ou je ne sais quoi, je ne serais pas rassuré à l’idée d’être jugé, en toute indépendance, par un de ses camarades de promo ou de syndicat, un de ses compères de partie fine ou de paroisse, un de ses potes du Rotary ou du Grand Orient, bref par un de ses pairs.

En vrai, je n’ai pas confiance dans la justice de mon pays.



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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