Mes vacances chez les bouquinistes, la série de l’été de Jérôme Leroy
Libertaire inquiet, Don Juan en vélosolex, collectionneur d’apocalypses portables et d’anecdotes métaphysiques, ami de Roland Topor et pionnier de la science-fiction française, Jacques Sternberg (1921-2006) a promené pendant près de soixante ans ses obsessions angoissées et ses illuminations érotiques de jeune homme juif de nationalité belge dont le père est mort en déportation. Il a occupé une place unique dans les Lettres françaises, inconnu célèbre, auteur du scénario du meilleur film d’Alain Resnais, Je t’aime, je t’aime sur le voyage dans le temps comme remède dangereux au chagrin d’amour. Il était le maître de la very short story, comme disent les Américains pour désigner ces nouvelles parfois réduites à quelques lignes.
Humour et cruauté
Les Contes griffus, parus chez Denoël en 1993, nous avaient jusque-là échappé. On y retrouve cette technique de précision du récit court et ses thèmes de prédilection : la fin du monde, les dangers écologiques (déjà), l’origine de l’homme, les rencontres féminines ou encore les dangers de l’écriture quand elle rôde autour de certaines zones de l’imaginaire.
Les qualités de Sternberg ? Une certaine cruauté, un sens de l’humour ravageur mais aussi l’inquiétude devant l’arrivée de la vieillesse qui va bientôt empêcher de séduire et d’aimer. Dans ces Contres griffus, Jacques Sternberg livre ainsi des morceaux d’autobiographie indirects ou fantasmés comme l’histoire de cet homme devenu septuagénaire qui comprend qu’il ne fera plus de nouvelles conquêtes et qui décide, pour occuper son grand âge de se renvoyer à lui-même, à raison d’une par jour, les centaines de lettres de femmes qu’il a reçu au cours de sa vie.
Il y a bien sûr, chez cet écrivain prolifique, quelques clichés, quelques facilités mais cela ne doit pas faire oublier cette voix si particulière, cette œuvre unique en son genre, où l’auteur a le bon goût de citer Louis Scutenaire et qui résume l’histoire de l’humanité de cette manière lapidaire : « Au commencement, il y eut deux idiots et, après quelques turbulences planétaires, à la fin, il resta deux autres idiots. »
Contes griffus de Jacques Sternberg (Denoël, 2 €, marché Georges Brassens, Paris XVème)