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Revoir Carnavalet et le Paris de Cartier-Bresson


Revoir Carnavalet et le Paris de Cartier-Bresson
Sous le métro aérien, boulevard de la Chapelle, 1951 Collection Fondation Henri Cartier-Bresson © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos

Pour sa renaissance, le plus ancien musée de la Ville de Paris s’offre une exposition au format magnum


Le quartier du Marais n’avait plus la même couleur. Depuis quatre ans, il avait perdu de sa superbe. Il lui manquait un élément essentiel à son rayonnement. Le Musée Carnavalet était en travaux. On se languissait. On passait devant, un falafel à la main, jetant un œil furtif derrière les palissades et se demandant quand allait-il enfin rouvrir. L’attente fut longue. Carnavalet n’est pas de ces musées ostentatoires à vocation gogo-touristique qui surjouent le patrimoine et l’épate, qui gonflent les collections artificiellement et imposent, aux visiteurs, une distance faussement culturelle. On s’y sent chez soi. À la maison. 

La pelisse de Proust

C’est notre zinc du dimanche, notre guinguette de la rue de Sévigné, la malle aux trésors de la Capitale. Les Parisiens y entrent sans les appréhensions et les intimidations que l’on voue trop souvent, en France, aux institutions labellisées. Sans cette génuflexion complexée face à l’Art total, à l’Histoire magistrale et au poids du passé. Qu’il est doux de retrouver notre Carnavalet rénové, enrichi, plus accessible et dont l’aura nostalgique n’a pas été lessivée sous les coups du marteau ou de la faucille. Son âme friable n’a pas disparu. La cour intérieure impose toujours un sentiment d’orgueil national. Le Serment du Jeu de paume de Jacques-Louis David est toujours là. On y découvre également la pelisse de Proust avec son col en fourrure de martre ou le soulier de Marie-Antoinette. Le plus ancien musée de la Ville de Paris raconte la vie de notre cité à travers les âges. 

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À Carnavalet, on feuillette notre livret de famille, le passé n’est pas notre ennemi. Pour sa réouverture, le musée s’est associé à la Fondation Cartier-Bresson afin de nous présenter une exposition majeure qui s’intitule « Revoir Paris » jusqu’au 31 octobre prochain. Qui de mieux qu’un styliste de la photographie pour inaugurer le nouveau bâtiment ! Ses images peuplent notre imaginaire depuis si longtemps, il a façonné notre œil, on croit le connaître par cœur, avoir saisi son génie de l’objectif instantané et finalement, on est encore soufflé par son sens de la géométrie. Il y a chez lui un académisme libérateur ; la force d’un trait qui a dessiné la géographie de notre mémoire intime. 

Vue de l’exposition Henri Cartier-Bresson – Revoir Paris (15 juin – 31 octobre 2021) au musée Carnavalet – Histoire de Paris © Louise Allavoine
Vue de l’exposition Henri Cartier-Bresson – Revoir Paris (15 juin – 31 octobre 2021) au musée Carnavalet – Histoire de Paris © Louise Allavoine

Cartier-Bresson, l’évanescence populaire

La Ville lui doit beaucoup dans la propagation de ces mythes architecturaux et les méandres du souvenir. Il en est le diffuseur élégant, sa mise en scène prodigieuse d’habileté n’est jamais un frein à l’émotion. Le musée a donc choisi dans l’œuvre de Cartier-Bresson (1908-2004), les clichés en rapport avec Paris, de la Libération à Mai 68, avec des morceaux de bravoure comme l’interrogatoire de Sacha Guitry à la mairie du VIIème arrondissement, après son arrestation le 23 août 1944. Celui qui fut assistant de Jean Renoir et inspiré jadis par Atget, membre fondateur de l’agence Magnum et compagnon de route du PCF, reporter d’images en Afrique ou en Inde, demeure un fantastique compositeur d’atmosphère(s). 

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L’alignement et l’agencement de ces toits de Paris confinent au sublime. Nous sommes dans la lignée de Caillebotte. Une mosaïque d’habitations, disparate et cependant appartenant à la même tapisserie urbaine, file dans le ciel. Muni de son Leica, Cartier-Bresson a figé notre regard sur Paris, une forme d’évanescence populaire qui lui est propre, comme ces personnages qui surgissent de nulle part, sur les quais ou dans les jardins, dans une pénombre brumeuse et fantomatique. Chaque grand photographe imprime en nous sa calligraphie visuelle, fixe notre rétine, nous transmet sa propre dramaturgie du monde. Avec Doisneau, les verres tintent au comptoir dans une fraternité non feinte, avec Helmut Newton, l’éros est à la limite de l’implosion, avec Jeanloup Sieff, la peau ondule sur la côte normande et avec Cartier-Bresson, l’Homme seul, célèbre ou anonyme, a trouvé son contemplateur fiévreux. 

Jean-Paul Sartre et Jean Pouillon sur le pont des Arts, Paris, 1945 Collection du musée Carnavalet – Histoire de Paris © Fondation Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos

Ce portraitiste de l’intérieur fut certainement l’un des rares artistes du XXème siècle à s’approcher au plus près de la vérité de celui qui pose, là devant lui, dans sa nudité sociale et ses doutes. Comme si devant l’objectif, toute tentative de fuite ou d’esquive devenait illusoire. D’un Mauriac acéré à un Camus séducteur, d’un Giacometti marchant sous la pluie à Alésia à une Coco carnassière, Cartier-Bresson a révélé une part de leur secret.

Exposition au Musée Carnavalet, 23, rue de Sévigné 75003 Paris. Du 15 juin au 31 octobre 2021



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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