L’éditorial de l’été d’Élisabeth Lévy
Pas question de passer pour une plouc. Déjà que j’étais partie à Venise fêter la libération, aveu d’un goût suspect pour les vieilleries. Il faut dire que c’était peut-être l’ultime chance de voir la Sérénissime sans grappes humaines en shorts et claquettes débarquées de leurs immeubles flottants.
Sur les instances de mon camarade de voyage, un homme de goût pour qui la vraie vie s’est arrêtée autour de 1860, j’ai donc accepté de délaisser les peintres du passé pour faire un tour dans les Giardini où se tient la Biennale d’architecture. Le thème choisi cette année, « Comment vivrons-nous ensemble ? », aurait dû nous alerter mais après tout, la question est légitime alors que le multiculturalisme rampant ou flamboyant est partout synonyme de choc des civilisations à plus ou moins bas bruit.
Un « vivre-ensemble » qui n’existe plus que dans le cervelet des journalistes de gauche
Sans surprise, la réponse donnée par la Biennale se résume à une propagande Benetton-Bisounours célébrant un « vivre-ensemble » qui n’existe plus que dans le cervelet des journalistes de gauche. D’installation en proposition, sans oublier les inévitables « gestes », le visiteur doit comprendre que demain, délivrés des populistes et autres réacs, tous les hommes de bonne volonté se donneront la main dans l’amour et la fraternité.
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Nous commençons par le pavillon français. Sous l’inscription « Francia » qui orne la façade néoclassique sont juxtaposées deux grandes reproductions. En bas, un tableau du xviiie siècle, dont le dossier de presse ne se donne pas la peine de fournir le pedigree mais dont Jonathan Siksou m’apprend qu’il s’agit de Monde nouveau, peint par Tiepolo en 1791. Une foule de Vénitiens en habit de carnaval assiste au départ de bateaux vers l’inconnu. En haut, une photo montre encore une foule, mais composée de villageois africains d’aujourd’hui, rassemblés autour d’un bâtiment qui ressemble à une roulotte. Pas besoin de légende : nous étions des Occidentaux étriqués, nous sommes devenus des citoyens du monde (à moins que l’Afrique figure ici une scène originelle à laquelle nous reviendrions enfin après des siècles d’errance).
À l’intérieur, le travail de Christophe Hutin, intitulé « Les communautés à l’œuvre », entend montrer « comment les habitants rendent l’architecture meilleure ». C’est bien ce qui saute aux yeux de quiconque se rend par exemple à la Grande Borne à Grigny. Sont exposées des photographies de grands ensembles, du genre cités HLM, situés à Soweto, Hanoï, Detroit et Mérignac, ce dernier cas semblant être une concession à l’esprit de clocher du cochon de contribuable qui finance cette daube. Si certaines réalisations présentent un intérêt architectural, il est effacé par l’idéologie qui irrigue l’ensemble. En sortant, on réalise que l’écrasante majorité des humains montrés dans ce pavillon français sont africains, asiatiques, arabes. Traduction : nous sommes tous des immigrés – ou allons le devenir. C’est beau comme du France Inter.
La Réaction n’a pas complètement désarmé
Juste à côté, le pavillon allemand mérite le détour. Il n’y a rien à voir, sinon des QR codes peints sur les murs qu’il faut flasher avec son téléphone. Faut-il comprendre que la culture allemande n’est plus qu’un contenant vide que chacun peut remplir à sa sauce ?
Cependant, la Réaction n’a pas complètement désarmé, on la retrouve au pavillon belge où sont exposées, je vous le donne en mille, de nombreuses maquettes de bâtiments. Montrer de vulgaires bâtiments dans une biennale d’architecture, c’est un aveu de ringardisme. Ou une audace folle.
Nous oscillons entre accablement et hilarité. Des siècles de génie humain pour en arriver là. Soyons juste, alors que nous avons l’impression d’être plongés dans un film sur la décadence de l’humanité en général et de l’Occident en particulier, nous avons peut-être raté de vraies pépites. Pour finir, j’aggrave mon cas avec une remarque lancée devant le pavillon japonais, entouré de gravats et d’échafaudages : « Ils auraient pu trouver un autre moment pour faire des travaux. ». Vous qui êtes branchés avez compris : ce faux chantier est une vraie œuvre. Et moi une vraie plouc.