« Ensemble, et d’un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qu’on ne rallumera plus ! » Cette déclaration grandiloquente fut prononcée le 8 novembre 1906 par René Viviani, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale sous Clémenceau, dans un discours à la Chambre des députés célébrant l’œuvre de la campagne anticléricale du Bloc des gauches. Le cofondateur de L’Humanité imaginait-il un seul instant que, plus d’un siècle plus tard, ce discours apparaîtrait comme une prophétie ?
Deux mille ans après la naissance du Christ, et alors que le christianisme fut pendant une majeure partie de ces années à la tête de l’hégémonie culturelle, il ne fait plus bon revendiquer son christianisme ou sa catholicité pour prétendre participer au débat intellectuel.[access capability= »lire_inedits »] Pis encore, toute accointance ou sympathie éprouvée à l’égard de cette religion constitue le meilleur bâillon pour faire taire ceux qui édifient le « tombeau de l’intelligence, de la pensée, du cerveau », selon la formule du socialiste révolutionnaire Louis-Auguste Blanqui.
Sur tous les sujets qui offensent aujourd’hui la pensée dominante − bioéthique, valeurs sociétales − , les catholiques sont exclus du débat au prétexte qu’ils sont catholiques. Il n’est qu’à voir la façon dont se font fréquemment rembarrer évêques et consorts, scientifiques, professeurs et philosophes du « camp » chrétien dès lors qu’ils osent donner leur avis, s’ils ne sont pas tout simplement superbement méprisés, voire écartés volontairement de telle tribune, de telle émission ou de telle commission chargée de réfléchir et d’interroger les spécialistes.
Mais, plus zélés que les censeurs, il y a désormais les auto-censeurs et autres Ponce-Pilate, comme si, dans une forme d’extrême sagesse socratique, il valait mieux s’administrer de la ciguë plutôt que d’offenser la Cité. Ainsi voit-on régulièrement défiler des mines triomphantes, trop heureuses d’expliquer qu’après s’être enfermées dans une Église obscurantiste, elles recouvrent enfin l’intelligence et la liberté de penser, et de se conformer immédiatement à la bien-pensance du moment. Et c’est ainsi qu’on entend le coq chanter trois fois.
Cette obstination des censeurs à refuser à la catholicité la moindre forme d’autonomie intellectuelle, ou même la moindre parcelle de raison, trahit une véritable malhonnêteté. Oubliés Saint Thomas d’Aquin et Saint Augustin ? Sombres abrutis, Paul Ricœur, Teilhard de Chardin, Simone Weil ou Joseph Ratzinger ? Imbéciles, ces chefs-d’œuvre architecturaux qui quadrillent la France et l’Europe et rendent hommage au Christ ? On aimerait confronter le culot d’un Blanqui au génie d’un Saint Augustin et voir si, pour une fois, le ridicule ne tue pas, au moins un tout petit peu.
Plus sérieusement, l’Église catholique a toujours construit le développement du mystère de la foi sur le fondement de la raison, laquelle ne se gagne pas à la ferveur d’oraisons, mais constitue le propre de l’Homme. Rien de plus logique que cela, puisque le catholicisme considère que l’Homme a été créé à l’image de Dieu, et qu’il serait difficile de nier à ce dernier la raison, même s’il existe ici un rapport dimensionnel tout à fait différent. Là où elle s’aventure bien plus loin, c’est lorsqu’elle observe la dépendance de la foi à la raison, ainsi que l’indique le titre l’encyclique de Jean Paul II, Fides et ratio, publiée en 1998 : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. »
La raison, ce par quoi l’homme cherche à comprendre le sens du monde et de la vie, ce par quoi l’homme cherche à expliquer ce qui se heurte à la compréhension instinctive, doit-elle subitement s’annihiler devant les grands mystères de l’humanité ? D’où vient-on ? Où va-t-on après la mort ? Peut-on se contenter de croire que l’essence de notre existence réside dans nos actes mais accepter, dans le même temps, le déterminisme qui signe notre apparition et notre disparition ? Là où la raison s’arrête parfois, la foi prend le relais.
Alors oui, on est libre de ne pas y croire, à toutes ces histoires : au prologue de Saint Jean, à la Sainte Trinité, à la Résurrection et à tant d’autres choses. Mais elles ont le mérite de proposer des réponses à des questions auxquelles jamais personne n’a su répondre autrement qu’en émettant des hypothèses tout aussi peu rationnelles, et qui d’ailleurs répondent plus sur le moyen que sur le sens.
Alors oui, un catholique qui s’exprime est d’abord un être doué de raison et, si on l’écoutait au lieu de lui prêter un fidéisme aveugle, on entendrait des arguments qui tiennent à la raison et seulement à elle. On l’entend d’ailleurs parfois, mais uniquement lorsque cela est conforme à l’air du temps. Le cardinal André Vingt-Trois est célébré lorsqu’il prend la défense des Roms, conspué lorsqu’il explique que tout enfant a le droit à un père et une mère. Un coup, c’est la raison, une autre la foi ?
Dans un monde qui nous vante sans cesse les mérites de la diversité et de la diversité des vérités, dans un monde qui jure égalité parfaite et relativité absolue, comment ne pas se révolter du musèlement des catholiques au nom de ce qu’ils sont, du déni de leur raison, parce qu’ils proposent, grâce à elle, un certain déchiffrement des mystères qui nous entourent ?
« C’est la première fois depuis que le monde existe qu’un romantique nous présente comme magnifique un geste qui consiste à éteindre les lumières », disait Charles Péguy en réponse à l’envolée de René Viviani. Péguy, encore un abruti…[/access]
*Photo : gmcmullen.
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