Dimanche dernier, au premier tour des élections régionales, rien n’a fonctionné comme prévu. Pour tous les partis politiques. L’abstention a atteint 66,7%. Alors que médias et politiques se penchent avec compassion sur leur cas, les abstentionnistes n’ont aucune excuse sinon d’être les fossoyeurs inconséquents de la démocratie.
Un bref instant, en regardant les résultats des régionales, j’ai cru qu’on était revenu dans le monde d’avant. Le monde d’avant Macron je veux dire, et j’étais bien content.
Le jour d’après
Un monde où il y avait une droite, où il y avait une gauche, un monde où parfois la droite gagnait et où parfois c’était la gauche. Moins souvent, hélas, en ce qui concerne la gauche parce qu’il est plus compliqué d’être de gauche que de droite, de jouer sur la raison que sur la pulsion surtout à l’époque des faits divers débités par rafale pour tétaniser la population. Mais cette joie n’a duré qu’un bref instant parce qu’il y avait, dans le monde d’avant, des électeurs.
À lire aussi: Quai des brutes
Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Mais si voyons, l’électeur, c’était un homme ou une femme qui avait lu les professions de foi des différents candidats (à l’époque, on les recevait), avait écouté des débats et pas seulement des discussions approximatives d’éditorialistes et de sondeurs qui brassent le vent sécuritaire. Il se faisait sa petite idée et il allait voter en revenant du marché ou après le café du repas dominical. Si l’électeur était militant, ou même simplement doté d’un minimum de civisme, il arrivait même qu’il tienne le bureau de vote ou qu’il participe, le soir, au dépouillement.
Un couteau sans lame auquel il manque le manche…
Mais là, en fait, des électeurs, il n’y en pas eu beaucoup. Mais vraiment pas beaucoup. C’est ennuyeux dans une démocratie. Une démocratie sans électeurs, ça tient du fameux couteau de Lichtenberg : un couteau sans lame et dépourvu de manche. Un électeur qui ne se dérange pas pour voter est appelé abstentionniste.
L’abstention, pour un électeur, c’est une espèce d’abstinence, comme on peut être abstinent en amour, c’est-à-dire refuser un rapport sexuel. Ce sont des mots de la même famille. Étymologiquement, l’abstentionniste refuse de faire l’amour à la démocratie. Est-ce par ce qu’il la trouve moche ? C’est vrai, elle n’est pas bien jolie. Mais à moins de jeter des bombes, c’est le seul moyen qu’on aura de virer Le Pen et Macron et de retrouver un affrontement normal et apaisé entre gauche et droite.
Vote des jeunes: Mc Fly et Carlito, une influence très limitée des “influenceurs”
Je trouve que tout le monde a été bien indulgent avec les abstentionnistes. Il faudrait les comprendre, paraît-il… Ils ont eu envie de profiter de la liberté retrouvée : rappelons que voter, ça prend dix minutes à tout casser. Ou alors, surtout les jeunes, ils ne se sentent pas concernés. C’est dommage, parce que Macron les prend pour des cons. Il les amuse avec Mc Fly et Carlito en leur préparant un bel avenir de livreurs à domicile qui travailleront jusqu’à soixante-dix piges sans couverture sociale. Ou encore l’offre politique semble insuffisante à l’abstentionniste. Ah bon ? Il lui faut quoi, par exemple, à l’électeur de chez moi, dans les Hauts de France en dehors de la droite, de la gauche, l’extrême-droite lepéniste et l’extrême-droite macroniste ? Des binômes départementaux défendant la cuisson de la frite au gras de bœuf ? Une liste départementale menée par un mangeur de Welsh ?
À lire aussi, du même auteur: Macron, le prof «copain»
Ça n’engage que moi mais je n’ai pas envie de trouver d’excuses aux abstentionnistes. Ça me donne même des envies de vote obligatoire. Au moins, ils se dérangeront pour voter blanc, si ça leur chante.
En attendant, toujours dans mes chers Hauts de France, félicitations aux 252 623 électeurs de la liste de Karima Delli d’avoir rappelé aux médias que la gauche existe encore et aussi à tous ceux qui nous ont donné le bonheur de voir cinq ministres macronistes au tapis dès le premier tour. Au bowling, on appellerait ça un strike.