Mi-décembre, les prix littéraires ont presque tous été attribués. Manque à l’appel le prix des Deux-Magots qui fêtera en 2013 ses 80 ans d’existence et dont la promulgation au Journal Officiel des Lettres a été fixée au mardi 29 janvier. Nous espérons que la dotation de 7 700 € reviendra à Pauline Dreyfus pour Immortel, enfin paru chez Grasset, roman docu-fiction contant la dernière tentative de Paul Morand pour accéder à l’Académie française.
Mi-décembre, les critiques n’ont donc plus grand chose à se mettre sous la dent. Il faut attendre fébrilement la fournée de janvier/février pour repartir à la traque aux bons livres, délicats produits de saison aussi rares qu’un foie gras artisanal ou un saumon sauvage.
Le critique est comme un sportif professionnel, durant la trêve de Noël, il s’empâte. Son cerveau engourdi par plus de onze mois de compétition peine à s’émouvoir. Ça somnole dans les salles de rédactions. C’est que la lutte hebdomadaire pour déceler le livre de caractère à la peau fragile et au cœur tendre dans une production industrielle s’avère épuisante. Les organismes lâchent à la vue des meilleures ventes. Certains y perdent leur santé, d’autres sont frappés d’agueusie ou de démence. Les éditeurs et les patrons de presse ne sont pas des tortionnaires, ils savent qu’en décembre, il est impératif de ménager ces joueurs. Combien de critiques disparaissent à l’issue d’une saison trop engagée ? Par manque d’entraînement et puis aussi, à cause de nerfs trop fragiles, des dizaines d’entre eux ne supportent plus de lire le palmarès de L’Express. Ils préfèrent renoncer à l’émancipation des lecteurs. Ils déclarent forfait.
Afin de prévenir ces extrémités, on leur octroie trois semaines de repos forcé durant la période des fêtes. Au programme, aucun roman, pas plus d’essai, seulement des « beaux livres » aux vertus relaxantes. Les phrases tortueuses et les idées absconses à la corbeille, des images par milliers, de belles et grandes photographies qui s’étalent en double page tels des cataplasmes apaisants. Peu importe le sujet, seule l’évasion compte. Le critique embarque alors pour une croisière, un jour, il vogue sur l’Océan indien, un autre, il survole les cathédrales gothiques, les jardins japonais, les terrines de grand-mère, l’art chocolatier ou la lingerie française.
Mi-décembre, les critiques sont tristes. Ils se sentent mal-aimés. S’ils ont choisi ce métier, c’est bien par amour des livres. Ils se souviennent qu’enfants, ils passaient leurs vacances de Noël à lire. Moments suspendus. Bonheur intense où la littérature les protégeait et les élevait. Le sapin clignotait frénétiquement dans la grisaille berrichonne, les mères cuisaient la dinde en fumant, les pères ouvraient des huîtres en buvant, les cousines se chamaillaient en se pomponnant, les anciens se remémoraient le faste des messes de minuit d’avant-guerre en bridgeant. Le futur critique, votre serviteur, s’était enfermé dans sa chambre. A l’extérieur du monde réel et pourtant vibrant au moindre écho de ces préparatifs.
Cette année-là, il lisait Rue du Havre de Paul Guimard, il y était question d’un père Noël qui voulait abolir le temps et réunir deux êtres égarés dans la brutalité du monde moderne. C’est à cet instant-là, en refermant ce court roman publié en 1957, trouvé dans la bibliothèque familiale en version de poche de 1968 qu’il s’était dit que la littérature était un bonheur à partager. Il ne savait pas vraiment pourquoi, il n’avait pas encore les mots pour l’exprimer, mais ce soir-là, il se sentait bien.
*Photo : Nicolas Nedialko Nojarof
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