Jean-Michel Blanquer, après avoir lu le rapport accablant que lui a remis Jean-Pierre Obin sur les rapports souvent distants qu’entretiennent enseignants et laïcité, a donc décidé de lancer un grand programme de formation pour remettre les professeurs dans le droit chemin de la loi de 1905. Souhaitons-lui bon courage…
Jean-Pierre Obin est un vieux routier de la laïcité. En 2004, il avait déposé sur le bureau de François Fillon un rapport sur l’Ecole face à l’obscurantisme religieux, rapport que le ministre, qui n’a jamais brillé par son intelligence ou son courage, s’était empressé d’oublier dans le plus profond des tiroirs de la rue de Grenelle. Alain Seksig et quelques autres, dont votre serviteur, s’étaient dévoués pour publier cum commento ledit rapport, deux ans plus tard. Sans effet notable — sinon que Seksig est aujourd’hui chargé de la cellule Laïcité au Ministère : on peut accuser Blanquer de tous les péchés d’Egypte et d’Israël, il a de la laïcité une conscience rectiligne.
Jean-Pierre Obin, désormais à la retraite, a récidivé en publiant en 2020 Comment on a laissé l’islamisme pénétrer à l’école (éditions Hermann). Ces hauts faits lui ont valu d’être chargé, trois mois après l’assassinat de Samuel Paty, d’un rapport sur la formation à la laïcité des personnels de l’Education nationale, qu’il vient de rendre et dont les détails sont parfois croustillants.
Nous pensions, nous qui sommes nés sous la IIIe République, ou presque, que le mariage enseignants / laïcité était endogamique. Une même foi dans la transmission des savoirs, une même volonté de « détruire l’Infâme », comme disait Voltaire en conclusion de ses lettres, animaient instituteurs et professeurs…
Ce fut longtemps vrai. L’instituteur de la IIIe République avait l’habit noir et les habitudes austères des curés qu’il voulait remplacer. Avec les « hussards noirs de la république » (Péguy), l’apprentissage de la grammaire ou de l’accession au trône de Clovis tenaient du catéchisme, parce qu’ils avaient foi en ce qu’ils enseignaient.
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No more, comme on dit dans cette France moderne qui promeut le « Pass » sanitaire en oubliant qu’en français, le mot se clôt sur un e muet. Profs et laïcité est une union exogamique, où chacun arrive bardé de certitudes et d’habitus, aurait dit Bourdieu, opposés et parfois incompatibles. La loi Jospin (1989) n’a-t-elle pas décrété qu’il fallait « respecter » l’élève et surtout lui donner toutes les occasions de s’exprimer, quitte à ce qu’il profère de larges imbécillités ? Le pédagogisme qui s’est imposé dans les Instituts de formation des maîtres en arrive, nous dit Jean-Pierre Obin, à proposer « des cours ou des mémoires infligés aux étudiants sur la « déconstruction » du discours officiel sur la laïcité, prétendant mettre à jour le « racisme systémique » d’un Etat « postcolonial » et « islamophobe ». » Rien que ça.
Ajoutez à ces délires, qui bénéficient de l’attention des médias, l’idée implantée profondément chez nombre d’enseignants que la laïcité serait « coercitive », « conçue pour brider l’expression des religions » — comprenez celle de l’islam. D’où la promotion, dans les INSPE où Blanquer — c’est le péché mortel de son ministère — ne s’est jamais décidé à faire le ménage, d’une « nouvelle laïcité concordataire », invitant à faire des compromis avec l’islam en invitant des « égéries de la mouvance décoloniale ». Le vrai danger de l’islamo-gauchisme est là — dans la formation des maîtres.
En 1793, on aurait exécuté, après un jugement rapide, les agents de l’ennemi coupables d’avoir tenu de tels propos. Blanquer, dès son entrée en fonction, aurait dû révoquer les éléments les plus radicaux qui sévissent, encore et toujours, dans les ex-IUFM / ex-ESPE / INSPE. Parce qu’il s’agit, au fond, d’affaiblir la République, et de la livrer à ses ennemis. Monsieur le Ministre, à chaque hésitation sur la question laïque, demandez-vous ce qu’en aurait pensé Samuel Paty. Ou Danton.
Deux points sont essentiels.
D’un côté, la laïcité ne souffre d’aucun ajout. Il y a la laïcité, pas la « laïcité aménagée », ni la « laïcité à géométrie variable ». C’est comme le « je t’aime » : tout ajout (« je t’aime bien, beaucoup, passionnément, moi non plus ») est une corruption de la déclaration originelle, la seule que nous attendons.
Et il n’y a pas de « Français musulmans » (ni de Français catholiques, juifs, etc.). Il y a des Français. Et même pas « de culture musulmane » : quelle est la culture d’un Beur de Corbeil-Essonnes dont les parents eux-mêmes sont nés à Drancy ou Saint-Denis ? Le malheureux se dit « algérien » parce que des salopards qui ont propre agenda et se prétendent enseignants l’ont encouragé à partir à la recherche de ses « racines » — quelles racines ?
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Au-delà même de sa francité, il est tout bonnement un être humain. Et c’est l’humanisme universel qu’il faut lui enseigner, et non des fantaisies intersectionnelles qui l’enferment dans telle ou telle case. Le racisme est une réinvention des pédagogues qui ont voulu faire remonter à la surface des catégories identitaires et communautaristes qu’ils avaient inventées eux–mêmes. La lutte contre les discriminations imaginaires a inventé des discriminations qui n’existaient pas.
Les enseignants, ajoute Jean-Pierre Obin, ont un « fonds de culpabilité masochiste » qui les incite à aborder la République par ses supposés manquements, plutôt que par ses idéaux. Il n’y a pas de compromis à passer avec l’islam parce que pour l’Ecole, il n’y a ni islam ni catholicisme. Il y a des élèves. La tolérance des discours de haine sous prétexte de libre expression est la fabrique de la haine. Les mots inventent les maux.
Ce sont ces faux enseignants qui ont inventé le communautarisme. Ils ont, par peur de leurs élèves, tendu aux plus radicaux le couteau dont ils se serviront contre eux.
Alors oui, la formation des maîtres doit être repensée. Je ne suis pas un grand enthousiaste de la nouvelle formule du concours de recrutement du Secondaire, le CAPES, qui a encore réduit la part des savoirs disciplinaires. Mais l’entretien qui désormais sera l’épreuve déterminante à l’oral doit permettre de détecter les enseignants mous du genou, ou qui sont potentiellement la cinquième colonne infiltrée des anticolonialistes auto-proclamés. Il faut trier au nom des savoirs et au nom de la République. Et se débarrasser de tous ceux qui alimentent les discours de haine sous prétexte des meilleures intentions.
Les syndicats s’y opposeront, m’avait prévenu l’un de mes interlocuteurs. Ah oui ? Eh bien la tentation me prend parfois de ressusciter la loi Le Chapelier de 1791 interdisant tout groupement de corporations, qui étaient autant de groupes de pression. Un enseignant enseigne l’intolérance religieuse et la segmentation de l’unité française ? Révoqué. Un syndicat le défend ? Dissous. Après quelques exemples bien médiatisés, vous verrez que les professeurs, qui n’ont jamais trop brillé par leur courage, sauf exceptions (et je les salue), appliqueront la laïcité une et indivisible — comme la République.