Le sommet, organisé par Boris Johnson, a vu les grands dirigeants du monde s’affronter sur les questions de l’aide aux pays pauvres, les vaccins, le rapport à la Chine ou… l’Irlande du Nord. Jeremy Stubbs raconte.
Le sommet du G7, qui vient d’avoir lieu de vendredi à dimanche en Cornouailles en Angleterre, a été présenté comme étant le plus important depuis une génération : pandémie, changement climatique, Chine… les sujets de discussion de première importance ne manquaient pas. Les décisions prises sont-elles à la hauteur des ambitions ?
Jouer des coudes
Tous les leaders et leurs épouses ou époux se sont fait photographier en train de faire le salut du coude, en rigolant comme si c’était nouveau et que tout le monde ne faisait pas ça depuis plus d’un an. Mais la création d’une atmosphère bon enfant semblait le meilleur prélude à des échanges de haut niveau qui visaient des accords de première importance. Comme c’est souvent le cas, des tensions, des rivalités et des jalousies ont miné quelque peu la jovialité ambiante. Le premier sujet, la nécessité de venir au secours des pays les plus pauvres incapables de faire face à la pandémie, a donné lieu à une certaine émulation en termes de générosité. Le nouveau président américain, Joe Biden, a gagné la partie en s’engageant à livrer la moitié du milliard de vaccins promis gratuitement par les pays du G7. Emmanuel Macron a essayé de se démarquer en rappelant, en amont du sommet, que l’UE avait proposé la première que les sociétés pharmaceutiques renoncent à la propriété intellectuelle sur leurs vaccins, idée reprise par la suite par Joe Biden. Il est toujours plus facile d’être généreux avec l’argent des autres, particulièrement celui du secteur privé. Seul hic : les pays en développement sont loin d’être tous en mesure de fabriquer des vaccins et le pays le mieux placé pour le faire, l’Inde, n’en exporte pas à l’heure actuelle, étant donnée la situation critique qui y règne.
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On ne peut pas mettre en doute la sincérité des ambitions humanitaires des pays du G7, mais toute opération servant à mettre fin à la pandémie dans les pays pauvres constitue en même temps un formidable exercice de « soft power » face à l’influence déjà très grande de la Chine dans ce qu’on appelait autrefois le « tiers monde. » En plus des membres habituels du G7 et des représentants de l’Union européenne (Ursula Von der Leyen a été mieux accueillie cette fois qu’en Turquie), l’Australie, l’Inde et la Corée du Sud étaient invitées, montrant clairement l’importance de la région indo-pacifique. Pourquoi ? Parce que c’est là qu’il s’agit de contenir et de contrer la Chine, considérée par Joe Biden et Boris Johnson comme la plus grande menace géopolitique pour les valeurs et l’économie de l’Occident. C’est aussi pour cette raison que celui qui a été baptisé par Donald Trump « Sleepy Joe » a fait preuve de dynamisme en arrivant en Angleterre bien avant les autres leaders.
Relation spéciale ?
Pour le président américain, le sommet représentait une opportunité essentielle pour créer un front uni occidental contre les deux adversaires identifiés depuis longtemps par les États-Unis comme représentant des menaces immédiates et concrètes, la Chine et la Russie. Ce n’est pas un hasard si le sommet sera suivi d’une réunion de l’OTAN lundi à Bruxelles et d’une rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine mercredi à Genève. Si Joe voulait signaler très clairement à tous ses alliés traditionnels que l’Amérique était de retour après l’isolationnisme apparent de Donald Trump, il a décidé de commencer par son allié le plus proche, le Royaume Uni. Avant le sommet, Boris Johnson, également très enthousiaste à l’idée de consolider les liens avec les États-Unis dans un monde post-Brexit, a fait savoir aux médias qu’il n’aimait pas le terme traditionnel désignant l’amitié anglo-américaine, la « relation spéciale. » Selon lui, l’utilisation de cette expression de ce côté de l’Atlantique impliquait une attitude de faiblesse et de dépendance vis-à-vis du grand frère américain. Johnson a préféré évoquer les liens qui ont uni Churchill et Roosevelt dans la lutte contre l’Allemagne nazie et le Japon. Tout ne semblait pas gagné pour Johnson, le journal The Times révélant que Biden avait envoyé au gouvernement britannique par voie diplomatique une réprimande sévère, lui reprochant de jouer avec le feu concernant le Protocole de l’Irlande du Nord. Surprise agréable, en arrivant en Angleterre, Joe Biden a fait deux discours dans lesquels il a prononcé lui-même le terme de « relation spéciale » et évoqué plusieurs fois l’étroite collaboration entre les deux pays lors de la Deuxième guerre et de la Guerre froide. La raison pour ce revirement apparent est claire : il s’agit, pour le président américain, de créer une grande coalition contre les Chinois. Le Royaume Uni s’était déjà montré prêt à y participer en envoyant son nouveau porte-avions, The Queen Elizabeth II, dans la mer de Chine.
L’homme « fort » de l’Europe
Encore une fois, Emmanuel Macron a voulu se mettre en avant comme l’homme fort et indépendant de l’Europe en annonçant avant le sommet que le destin des nations européennes « n’est ni d’être vassalisés par la Chine ni d’être alignées sur ce sujet sur les États-Unis d’Amérique. » Cette démonstration de force et d’indépendance vis-à-vis des États-Unis cacherait-elle la dépendance de l’économie de l’UE à l’égard de la Chine ? M. Macron semble avoir encore plus besoin que BoJo d’affirmer sa virilité face à l’ami américain. On se souviendra que le président français, hôte du dernier G7 à Biarritz en 2019, a torpillé lui-même le sommet en invitant le Ministre iranien des Affaires étrangères sans prévenir Donald Trump qui a par conséquent refusé de signer la déclaration finale. Cette fois, les pays participants ont réussi à condamner tous ensemble certaines actions de la Chine, comme l’imposition de travaux forcés aux Ouïghours dans la région du Xinjiang. Ils ont beaucoup discuté aussi d’un plan promu par Biden pour concurrencer la Nouvelle route de la soie des Chinois. Le projet « Build Back Better World » mettra des fonds à la disposition des pays en développement pour les aider à faire face à la crise climatique et à construire des infrastructures, mais les détails restent vagues pour le moment.
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La Chine s’est contentée de riposter par une déclaration de son ambassadeur à Londres : « L’époque où des décisions mondiales étaient dictées par un petit nombre de pays est bien révolue. » Quand la Reine (pas le porte-avions) arrive au sommet pour le portrait de groupe, elle lance aux autres chefs d’État : « Êtes-vous censés avoir l’air de vous amuser ? » Les monarques comprennent mieux que quiconque la différence entre être et paraître.
La Guerre de Cent Ans des saucisses
Emmanuel Macron a encore créé des remous au cours du sommet lors de sa rencontre bilatérale avec Boris Johnson. Comme tout le monde le sait, l’UE et le Royaume Uni sont toujours en négociations sur l’application du Protocole de l’Irlande du Nord, l’objectif étant de rendre la frontière est-ouest dans la mer d’Irlande plus ou moins aussi fluide et transparente que celle, nord-sud, entre la République irlandaise et l’Irlande du Nord. Le diable étant dans les détails des procédures douanières, le grand exemple toujours cité est la difficulté qu’il y aura, à partir de juillet, d’exporter des saucisses de la Grande Bretagne en Irlande du Nord. Voulant illustrer l’absurdité apparente de cette situation, Boris Johnson aurait suggéré à son interlocuteur français que ce serait comme si on ne pouvait pas vendre des saucisses de Toulouse (BoJo connaît bien la charcuterie française) à Paris. M. Macron aurait rejeté l’analogie, affirmant que Paris et Toulouse se trouvaient dans le même « pays » – ou, comme il l’a maintenu après – le même « territoire. » Les Britanniques s’en sont immédiatement offusqués, accusant les Européens de ne pas reconnaître que l’Irlande du Nord faisait partie du Royaume Uni. Ce n’est probablement pas pour cette raison que, samedi soir, la nouvelle épouse de Boris, Carrie, a invité les leaders du G7 à un barbecue où sans doute des saucisses – qu’elles soient de Toulouse ou de Lincolnshire – étaient à l’honneur. Les médias ont fait remarquer que, lors de cette fête, la distanciation physique n’était pas du tout respectée. On peut conclure que, malgré les saluts du coude, les participants du G7 n’avaient pas vraiment les coudées franches – ou peut-être un peu trop.