Après le meurtre de Chahinez Daoud à Mérignac, une inspection est diligentée. Mais pointer du doigt ce qui a mené à l’indicible ne suffit pas, il faut également sanctionner, selon Philippe Bilger.
En France, il y a plusieurs méthodes pour faire croire qu’on agit et, après les catastrophes, pour faire illusion en donnant l’impression d’une prise de conscience et d’une lucidité qui empêcheraient qu’elles se renouvellent. Sur le premier point, l’outil le plus remarquable est la loi dont les pouvoirs raffolent parce qu’il s’agit d’un processus noble destiné à convaincre l’opinion publique que le gouvernement travaille et à faire prendre au citoyen la loi pour une avancée concrète. Elle l’est encore moins quand les décrets de son application ne suivent pas. On aboutit à ce paradoxe que non seulement trop de lois tuent la loi mais qu’il en est peu qui soient autre chose que du simulacre. Du vent dans les voiles de la démocratie. Avec cette conséquence que la frénésie législative est de plus en plus la marque d’un État faible dénué d’une véritable autorité.
Après les commissions, les inspections
Après les catastrophes, la grande mode a été de nommer des commissions mais depuis quelque temps un système a été mis en place qui consiste à demander l’avis d’une instance sur ce qui s’est déroulé ou d’une personnalité incontestable si on en trouve une. Mais il y a mieux, et beaucoup plus subtil. On demande aux services d’inspection des ministères concernés de se mobiliser, de faire un rapport et de formuler des propositions qu’en général on jugera pertinentes mais qu’on s’empressera d’oublier ou d’en retenir seulement une portion congrue. Le ministère de la Justice est devenu le spécialiste de ces inspections commandées à chaque polémique pénitentiaire, à chaque dysfonctionnement, à chaque anomalie judiciaire ou quand l’indignation publique à son comble ne laisse pas le choix au ministre. Dorénavant, tel un réflexe, pour chaque bévue réelle ou prétendue il y aura son inspection. Avec l’espoir que, tout ayant été consommé, il sera facile de dégager les causes de la catastrophe et de prévenir son éventuel retour. Mérignac où le pire est survenu, puisqu’une femme, Chahinez, est morte brûlée vive par son ex-conjoint. Comme il se doit, pour ce crime s’ajoutant à la trop longue liste des féminicides et ayant suscité une émotion considérable, les inspections générales de l’administration et de la justice ont été saisies et elles ont pointé « une série de lacunes et de négligences et aucun maillon de la chaîne policière et judiciaire n’a été épargné ».
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Dans leur rapport, elles ont formulé un certain nombre de propositions dont aucune n’est bouleversante. Le gouvernement annonce six mesures. Un complément d’analyse sera censé décider si des sanctions disciplinaires individuelles sont nécessaires ou non. Je parie qu’il n’y en aura pas. Ce qui doit être souligné et explique le caractère trop souvent banal des fautes relevées et des « grippages » constatés, se rapporte au fait que les défaillances professionnelles ont constitué une rupture par rapport à ce qu’une normalité technique et de compétence aurait dû mettre en application. On a donc l’impression que le rapport des inspections souligne seulement l’écart entre ces multiples imperfections et des pratiques irréprochables.
La notion de responsabilité est capitale
À partir du moment où on peut identifier, tout au long d’un processus et dans ses diverses ramifications, les responsabilités, les erreurs, les négligences, les lacunes dans la communication de l’information, il n’est vraiment plus utile de pourfendre abstraitement – ce qui n’induira aucun changement – mais il faut sanctionner les coupables. À force de refuser, par lâcheté ou pour garder bonne conscience – ça s’est mal passé, mais personne n’aura à répondre des échecs – on finit par laisser penser que la médiocrité ou la négligence professionnelles ne sont pas graves, et qu’il suffit d’attendre et de faire preuve de compréhension pour qu’on soit assuré à l’avenir d’une amélioration.
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Or c’est l’inverse qui est vrai. Si on ne sanctionne pas ceux qui ont fauté, ils se persuaderont, les uns et les autres, que l’à-peu-près est presque admissible et ils en viendront au bout d’un certain temps, en toute bonne foi, à douter de leur incompétence au moins conjoncturelle. Mais en l’occurrence Chahinez a été assassinée et il n’est plus tolérable de pleurer après sans faire en sorte que l’avenir ne ressemble pas inéluctablement à ce passé tragique. On ne doit pas laisser dans le circuit policier, judiciaire et pénitentiaire des personnalités qui ont clairement facilité ou permis la survenue d’un désastre. Je n’ai pas vocation à exiger, tel un inquisiteur, la punition systématique de ceux qui ont gravement mal agi. J’ai eu une certaine expérience des procédures disciplinaires classées vite avec Michèle Alliot-Marie et en une semaine avec Rachida Dati et, si je les ai contestées, elles ne me sont pas apparues scandaleuses. Absurdes sûrement. Dans le monde judiciaire, plus que l’indépendance, pierre angulaire, paraît-il, de l’activité du magistrat, la notion de responsabilité m’a toujours semblé capitale. On est comptable de ses fautes si elles ne relèvent pas de l’administration de la Justice et des différentes approches justifiées par la loi et l’État de droit. À Mérignac, inspecter des tragédies finies est vain. Sanctionner, en revanche, préviendra leur retour.
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