Conscient que son bilan sur le régalien est passablement mauvais, l’exécutif s’emploie à montrer à l’opinion qu’il agit contre une immigration hors de contrôle. Et dire qu’au début de son quinquennat Emmanuel Macron évoquait l’objectif d’un taux d’exécution des décisions d’expulsion de 100%…
Jamais le fonctionnement de la communication politique n’a été aussi manifeste aux yeux de tous. Jadis la manipulation de l’opinion était un peu comme un théâtre de marionnettes. On ne doit pas voir les manipulateurs pour que la magie opère. Pour que la pièce se déroule dans les règles de l’art on fait donc cet effort, c’est une question de respect pour le public.
Tenir quoi qu’il en coûte
Aujourd’hui, et de plus en plus, les petits fils qui tenaient les poupées de chiffons sont devenus des cordes et l’on voit les grosses chaussures des ceux qui tirent les ficelles.
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Qu’on en juge : la pression sur le laxisme judiciaire est forte, on fait une loi « pour la confiance dans la justice », loi dont d’ailleurs rien de saillant ne semble mérité d’être commenté ou discuté dans l’opinion. La pression ne diminue pas : qu’à cela ne tienne, organisons des états généraux de la Justice, ce genre de truc ça peut être une petite soupape et d’ici la rentrée on verra bien. C’est un peu la méthode Hollande qui disait, parait-il « ça tiendra bien jusqu’en 2017 ». Le tout c’est de tenir.
Mais le meilleur était à venir : l’Élysée a annoncé cette semaine que « le président a[vait] réuni le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et une représentante du ministre de la Justice (une représentante…) mercredi 9 juin, pour réclamer une meilleure efficacité des expulsions d’étrangers en situation irrégulière. »
L’immigration perpétuellement en question
Il est vrai que la pression sur le thème migratoire, composante évidente des problèmes de sécurité, est de plus en plus forte dans la cocotte-minute de l’opinion. En période préélectorale, il serait gênant que celle-ci explosât ! Comment faire donc… allons-y d’une petite réunion et d’un communiqué un peu ferme :
« Les demandes d’asile sont de plus en plus détournées : les étrangers demandent systématiquement l’asile en sachant que l’examen de leur dossier dure plusieurs mois et qu’ils sont pris en charge de manière très avantageuse »… (En voilà une info que tout le monde ignorait !). Aussi, le chef de l’État a-t-il demandé aux ministres « d’activer de manière volontariste les dispositifs en vigueur et d’intensifier les négociations avec les pays d’origine pour qu’ils acceptent le retour de davantage de leurs ressortissants. »
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Ce qui compte c’est l’opinion
Inutile de commenter plus avant notre situation pour ce qui est de la gestion migratoire, elle est en effet catastrophique comme chacun sait. Si en Europe le taux moyen de reconduite effective est de seulement 30%, il est de 15% en France… alors que le président avait pour objectif 100% au début de son mandat. Donc comment rassurer l’opinion (car ce qui compte c’est l’opinion, ça n’est pas la résolution du problème) ? On refixe des objectifs une énième fois, et en attendant la présidence donne quelques explications : « notre système est très difficile à activer pour des raisons politiques, diplomatiques et médiatiques ».
L’explication peut sembler floue, elle est en réalité claire, instructive et inquiétante :
- Raison politique : cela veut dire que s’attaquer au problème des migrations risque d’être compliqué, parce que tout le monde n’est pas d’accord et qu’il ne faut pas faire de vagues dans l’équilibre subtil des forces politiques qui fondent le pouvoir que l’on veut conserver.
- Diplomatique : l’image de la France « terre d’asile » ne doit pas être ternie. Et puis (bonne excuse) nous sommes liés juridiquement par nos obligations européennes.
- Médiatique : évidemment, c’est important quand on est obsédé par la communication.
Une question se pose toutefois : si la dure réalité des choses fait que nous ne pouvons rien changer, n’est-ce pas se moquer du monde que de jouer subitement les gros bras ? Et si les choses peuvent effectivement bouger, pourquoi avoir attendu la fin du mandat pour manifester le désir de s’attaquer vraiment au problème ? La réponse est évidemment dans la question.