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Au commencement étaient les Ramones


Au commencement étaient les Ramones

ramones geant vert

Imaginons que, pour des raisons d’âge ou de simple distraction, vous ayez raté le mouvement punk. Voici pour vous un plaisant cours de rattrapage : Blizkrieg Bop, Histoire du punk en 45 tours.

L’auteur, Géant Vert, connaît son affaire : il est lui-même une figure de la scène punk-rock française. Il y a plus de vingt ans, un de ses groupes, Karbala 413, avait même ambiancé une des premières fêtes de Jalons – à l’instar d’autres formations méconnues comme Warum Joe ou les Rabbins volants.

Ici, tel un nouveau Michelet, il nous livre son Histoire personnelle du punk : un phénomène musical qui, en 1976, est venu remettre un peu de désordre dans un rock’n roll institutionnalisé, c’est-à-dire agonisant.

Grâce à un habile chapitrage chronologique, Géant vert remet les pendules à l’heure et le clocher au milieu du village : au commencement du punk étaient les Ramones, et non pas les Sex Pistols ![access capability= »lire_inedits »]

M. Vert fait justice de la grotesque vulgate entretenue par les moines-copistes qui nous servent de journalistes ; la musique punk aurait été inventée par Malcolm McLaren,  démiurge des Pistols, dans une friperie hype de Londres, en même temps que l’épingle à nourrice…

Foutaise ! Quel que soit le respect dû à l’œuvre des Pistols et surtout aux riches personnalités de Sid Vicieux et Johnny Pourri, leur groupe n’est ni l’initiateur ni le plus représentatif du courant punk.

Leur fin foireuse était inscrite dans leurs débuts en fanfare orchestrés, trois ans plus tôt, par le dandy faiseur de King’s Road.

La « provocation commerciale » à la mode McLaren, c’est Le Scorpion et la Grenouille de La Fontaine : une alliance contre nature qui ne dure même pas le temps de traverser la rivière. Et puis, d’abord, un groupe punk, un vrai, ne se recrute pas sur casting !

Voyez plutôt les faux frères Ramones : quatre paumés du Queens à la dérive entre drogue, HP et pré-délinquance, mais unis par le goût du rock ultra-violent, décident de monter leur groupe avant même de savoir jouer. Ça  c’est du CV !

À l’époque, le rock est sinistré. Les Stones ne roulent plus que pour amasser du blé, et même les Who ne savent plus trop qui ils sont. En fait de relève, on a le choix entre un post-rock post-hippie dégoulinant et les boursouflures pseudo-symphoniques du « progressive rock » (sic). Il est temps de secouer le cocotier !

Comme son titre l’indique, Blitzkrieg Bop, premier single des Ramones, est le manifeste d’une guerre-éclair : celle que va mener le mouvement punk contre l’invasion de la soupe au sirop. Nos quatre héros dézingués donnent l’assaut aux cris de Hey ho, let’s go ! Sur cette base programmatique simple, avec trois instruments et deux accords, ils vont réinventer le rock.

Leur arme fatale : des chansons qui n’excèdent pas deux minutes  (pour les plus bavardes), exécutées à 100 à l’heure tous amplis dehors. Un concert des Ramones, c’est une trentaine de titres enchaînés en une heure dans un boucan d’enfer, sans temps mort ni même la place pour le moindre applaudissement. Seule une oreille exercée peut y distinguer les « One, two, three, four ! » qui ponctuent les changements de morceau.

Quant à identifier ceux-ci, une seule solution : se frayer un chemin, entre pogoteurs et canettes, jusqu’aux toilettes. Là, l’amateur éclairé pourra enfin goûter les harmonies subtiles de Sheena is a punk rocker ou The KKK took my baby away.

Mais qu’importe ! Le spectacle, dans ces grand-messes, c’est la communion entre le groupe et son public. Un soir, à la Mutualité, j’ai ainsi vu débarquer, en file indienne et en fauteuils roulants, des dizaines de fans handicapés autant que survoltés. Fort civilement, leurs collègues valides leur ont laissé devant la scène un vaste arc de cercle où ils purent à loisir pogoter entre eux, fonçant les uns sur les autres dans leurs fauteuils  transformés en stock-cars.

Toute la joyeuse violence de l’esprit Ramones était dans de tels instants de grâce, aujourd’hui disparus, hélas ! Quinze ans après la dissolution du groupe puis la mort de ses trois membres fondateurs, il est conseillé plutôt d’aborder l’œuvre ramonesque à travers leurs albums studio − qui semblent déjà enregistrés en live.

Le néophyte découvrira une musique dont le minimalisme revendiqué n’exclut pas la recherche : sous le speed, un fond mélodique étonnamment enjoué, voire fleuri. Les Ramones sont des enfants rebelles, mais pas seulement du rock : de la pop aussi, et même du folk (voir leur fameuse reprise de My Backpages, la chanson la plus réac de Bob Dylan.)

Leurs textes, à propos, sont autrement plus décoiffant que les proclamations anarchistes de cour de récré à la Pistols, sans parler des provocs droidelhommistes de nos redoutables Bérurier Noir.

Politiquement, les Ramones jouent volontiers aux fachos bellicistes décidés à tuer du coco (Rocket to Russia, Commando), voire aux vétérans fêlés qui ne songent qu’à en découdre (« If you think you can, come on man / I was a green beret in Vietnam »)

Pour le reste, tantôt ils se racontent, non sans crédibilité, en junkies psychotiques (Go Mental, I wanna be sedated, Acid Eaters), tantôt ils revendiquent le crétinisme comme d’autres l’antiracisme (Cretin Hop, Pinhead).

Mais c’est dans leur dernier album, judicieusement intitulé Adios Amigos ! (1995), que les Ramones résument le mieux l’inadaptation ontologique qui leur sert de weltanschauung : « When I see the price that you pay / I don’t want to grow up ! »

C’est ça, le punk version Ramones : des Peter Pan en Perfecto, Converse et jeans troués aux genoux.

Bon, avec tout ça, je n’ai rien dit des 79 autres singles répertoriés par le Géant ; et alors ? Ceci n’est pas une note de lecture, au contraire : c’est une incitation à lire.

Libre à chacun, dans ce Panthéon Géant, de retrouver ses dieux lares : Stranglers, Damned, Heartbreakers, Buzzocks, Blondie ou même Clash…

Enfin quand même, il y a des limites ! Blondie, c’est classieux et tout ce qu’on veut, mais sûrement pas punk ! Les Clash, ce serait plutôt le contraire − et même ni l’un ni l’autre : du trotskommercial qui se la pète !

Dans le genre engagé, on peut préférer le tardif Rage against the Machine (1990-2000) qui, pour être catalogué « Nu Metal », n’en crée pas moins un authentique hymne punk avec Killing in the name of et son entraînant refrain « Fuck you, I won’t do what you tell me ! »

Quant à moi, je place plus haut encore les Dead Kennedys, dont la radicalité politique était harmonieusement tempérée par un recours permanent au second degré (California Über Alles, Too drunk to fuck…) D’ailleurs, ne leur ai-je pas rendu l’hommage qui s’imposait en baptisant le groupe de rock de Jalons les Dead Pompidous ?

Mais assez de me justifier ! Qui serais-je pour écrire sur le punk, si je me souciais de l’avis des autres ? Comme disait, dès 1971, ce protopunk de Dirty Harry : « Les avis, c’est comme les trous du cul : tout le monde en a un. »[/access]

Blitzkrieg Bop, Histoire du punk en 45 tours, Géant Vert, Hoëbeke éd., 175 pages, 25 euros.

*Photo : I’m Heavy Duty!

Novembre 2012 . N°53

Article extrait du Magazine Causeur



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