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Du mariage gay au cyborg asexué


Du mariage gay au cyborg asexué

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Un certain nombre de thèmes essentiels apparaissent en marge du débat autour du « mariage pour tous ». La question de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels oppose ainsi d’un côté l’argument de la filiation biologique à la défense d’une filiation dématérialisée, nouvelle forme d’abstraction rationaliste assumée par les Etats et sécularisé par un acte administratif. En réclamant à toute force que soit reconnue comme un « droit » l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel, les lobbies LGBT rouvrent la boîte de Pandore du principe de disponibilité du corps humain : disponibilité de l’enfant soumis aux désirs et aux revendications des individus et disponibilité des corps soumis aux exigences d’un désir (re)fondateur d’identité. En arrière-plan des arguments déployés par les partisans du « mariage pour tous » se profile le serpent de mer des théories du genre qui ré-émerge de façon récurrente à la faveur de tous les débats « sociétaux » , comme la réécriture des manuels de sciences naturelles ou la lutte contre la discrimination sexuelle à la maternelle (le nouveau combat psychédélique de Najat Vallaud-Belkacem).

Une des déclarations fondatrices de la « panzerdialektik » des gender studies a été formulée par Judith Butler qui a déclaré, dans son ouvrage Trouble dans le genre, que l’on était désormais libre de choisir son identité sexuelle comme on sélectionne un vêtement dans sa penderie. Ce type d’assertions, qui forme le soubassement idéologique des théories du genre, à savoir que l’état, que nous croyons naturel, d’homme ou de femme, est une construction sociale, a été reformulé par un certain nombre de penseurs très proches de l’école gender mais qui ont poussé ses conclusions beaucoup plus loin. C’est ainsi le cas de Donna Haraway, biologiste et féministe américaine, qui a employé, dans son essai The Cyborg Manifesto, la métaphore du cyborg pour expliquer que des éléments qui nous semblent avoir une réalité biologique, comme le corps humain, sont seulement construits par nos idées sur eux. La métaphore du cyborg subvertit l’idée de naturalité et l’artificialité car le cyborg est un être hybride qui n’est ni une réplique complètement artificielle d’un original créé ni tout à fait un être humain puisque certains de ses organes ont été remplacés. En un sens, le cyborg constitue, de la même manière que le bateau de Thésée, un casse-tête philosophique. Tout comme le navire des Argonautes dont l’équipage remplace en cours de route tous les éléments à mesure de leur usure, le cyborg a remplacé progressivement tous ses organes par un certain nombre de prothèses identiques et la question se pose finalement de savoir s’il est toujours un être humain sans que l’on puisse vraiment le savoir. Sous la plume d’Haraway, le cyborg devient le modèle métaphorique d’une humanité débarrassée de la question même du genre. Plus d’hommes, plus de femmes, juste des hybrides.

De façon allégorique et ironique, le cyborg d’Haraway représente le modèle social et culturel d’une société atomisée par la multiplication des désirs et des innombrables processus de micro-reconnaissance qu’ils suscitent. Le texte d’Haraway a d’ailleurs servi de modèle à une vaste contre-culture[1. Le manga Ghost in the shell : Innocence met d’ailleurs superbement en scène les visions futuristes et inquiétantes d’Haraway.]. Le cyborg symbolise, comme elle l’écrit, « l’apocalypse finale de l’escalade de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace. »[2. On trouvera sur internet de larges extraits voir des versions complètes du Manifeste Cyborg qui a été amplement relayé et commenté ici et .] Cette évolution mène, pour Haraway, a une véritable mutation anthropologique. « C’est la fin de l’homme, au sens “ occidental ” du terme, écrit-elle, qui est en jeu. Nous sommes en train de vivre le passage d’une société industrielle et organique à un système d’information polymorphe – du tout travail au tout loisir, un jeu mortel. »

Ce postulat repose sur la foi scientiste dans la capacité des machines à conférer à l’être humain de nouvelles fonctions qui doivent remplacer celles qui étaient auparavant dictées par un rapport à la nature et à l’autre désormais totalement obsolète. Dans le même temps, la distinction homme-machine, induite par la robotisation des tâches et la rationalisation extrême des rapports sociaux nous rapproche de la machine alors même que la complexification des processus et techniques mécaniques ou génétiques efface peu à peu la distinction entre nature et artificiel. « Nos machines sont étrangement vivantes, et nous, nous sommes épouvantablement inertes », conclut Donna Haraway. De fait l’avenir que dessine le Manifeste Cyborg dans ce monde transformé par la technologie est glaçant. La conception même de la valeur et de l’identité humaine est soumise à réévaluation. « N’importe quel objet, n’importe quelle personne peut être raisonnablement pensé en termes de démantèlement et de ré-assemblage. » C’est l’apogée effroyable de la théorie de la déconstruction que nous dépeint le féminisme gender et high tech de Donna Haraway, qui trouve notamment son aboutissement au sein du courant transhumaniste américain[3. Le transhumanisme est un courant de pensée qui s’est développé aux Etats-Unis à partir des années 1980 et dont les thèses sont relayées en France par l’Association Française Transhumaniste. Mouvement matérialiste et ultraprogressiste, il postule que l’essor des technologies permettra de parvenir à un stade d’humanité améliorée qui aura banni le handicap, la laideur, la mort et la souffrance et aura largement relativisé les distinctions traditionnelles telles que le sexe en faisant des organismes de véritables outils modelables à volonté.], s’inspirant largement de ses thèses.

Pour Donna Haraway, la mutation technologique et anthropologique qui s’annonce fournit l’occasion « de replacer le féminisme socialiste au centre d’une véritable politique progressiste » en libérant la femme de l’esclavage imposée par la société patriarcale traditionnelle. Elle permettra peut-être aussi de transformer complètement l’humanité en un modèle achevé de division des tâches et en une simple subdivision de segments de production et de consommation. Que cette atomisation et cette déréalisation servent les objectifs d’un certain nombre d’acteurs économiques pour lesquels le maintien d’une partie des cadres traditionnels représente un obstacle à la création de nouveaux marchés est peut-être un problème qui dépasse de loin la simple question du mariage homosexuel.

Mais il faut rappeler à l’instar de Pierre Gripari, défunt auteur des Contes de la rue Broca, lui-même homosexuel, la réalité suivante : « La culture gay est une fiction qu’ont utilisée certains homos pour se faire reconnaître une place dans l’organisation socio-économique actuelle, qui tend à sectoriser les besoins de consommation pour optimiser les bénéfices qu’on peut tirer de chaque catégorie de population. »[4. Pierre Gripari, interviewé par la revue Krisis en 1985.] L’homosexualité, telle que la défendent et la mettent en scène les lobbies LGBT, n’est pas une identité, mais un segment de marché. Quant aux théories du genre, il faut avoir conscience que « l’utopie cyborg » de Donna Haraway, jusqu’aux délires transhumanistes, constituent leur soubassement idéologique déconstructeur au même titre que Simone de Beauvoir ou Jacques Derrida. Le débat autour du mariage gay devrait servir à rappeler quelles sont les armes des courants de pensée qui font, sous couvert de défense des droits de l’individu, la promotion d’une idéologie dont les aboutissements sont beaucoup moins rassurants que ce que les manuels de SVT, qui la relaient désormais, ou le discours intellectuel et médiatique souvent complaisants, laissent entendre.

*Photo : fengschwing.



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