Le compositeur américain Dave Brubeck a trouvé la mort hier, dans un hôpital de la ville de Norwalk (Connecticut). À moins que ce soit la mort qui l’ait trouvé. Il avait 92 ans, ce qui est encore trop prématuré pour un artiste. Dave Brubeck avait connu une notoriété mondiale à partir de la fin des années 50 avec son jazz élégant, accessible, et son swing original marqué par un sens de la rythmique très diversifié. Au début des années 50 il fonde son fameux « Dave Brubeck Quartet » avec notamment le saxophoniste Paul Desmond, et en 1958 sort son plus grand succès discographique « Time out », comportant les tubes internationaux Blue rondo a la Turk (adapté par Claude Nougaro en À bout de souffle) et surtout Take Five. S’en suivront une pléiade d’albums jazz et de concerts du même métal tout autour du monde pendant plusieurs décennies.
Ce que l’on sait moins du White-jazzman Dave Brubeck, c’est qu’il n’a pas appris la musique sur le piano désaccordé d’un tripot clandestin de Chicago, mais en France, auprès de Darius Milhaud et brièvement auprès d’Arnold Schoenberg. On peut surtout mesurer avec le recul l’influence de l’univers du Milhaud de La création du monde, plein de syncopes et de rythmes furieux, sur l’imaginaire musical du jeune Brubeck. Ce dernier, outre son abondante production dans le jazz ( plus d’une centaine d’albums), a construit au fil des ans un catalogue de musique classique plutôt consistant, mais assez peu représenté au disque et au concert, dont une douzaine de messes, cantates, oratorios divers ; une pléiade de pièces pour piano seul ; plusieurs musiques de ballet et une étrange relecture du West Side Story de Leonard Bernstein.
Dave Brubeck a écrit de très nombreuses chansons méconnues aux styles très variés qui révèlent un compositeur touche-à-tout, capable d’évoluer dans des univers classiques complexes (à la limite de l’atonal), dans le swing jazzy, comme dans la love-song américaine pour crooner. Un thème sous-jacent se dégage de ces chansons celui de la nostalgie de la jeunesse (le splendide Once when I was very young qui ressemble à une folk-song anglaise à la sauce Britten ou Percy Grainger), ou encore la nostalgie des amours perdus (le très délicat Don’t forget me avec ses accents discrets d’Erroll Garner ou encore So Lonely cri de douleur de l’homme solitaire et le très doux There’ll be no Tomorrow à la longue introduction pour piano qui peut faire songer à Chopin). Il faut aussi écouter la majestueuse All my love, déclaration d’amour simple et généreuse sur un tapis de musique originale ne voulant ou ne sachant se décider entre classique et jazz. Voici une captation live de ce morceau en 2001 ; la ligne de la voix est confiée au saxophone, et le compositeur est au piano.
C’est à ce Brubeck rare et méconnu que nous voulions tirer notre chapeau. C’est celui-là qu’il faut se hâter de (re)-découvrir. Adieu l’artiste.
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