Pourquoi relire Conrad ? Pour respirer l’air du large et pour se faire peur. Pour le plaisir ! Et ne serait-ce que pour répondre à cette question : qu’est-ce qu’un écrivain métaphysique ?
Un aimable skipper à l’encre bleue ? Non, je le vois comme un sphinx. Un petit-cousin de Stevenson du côté de l’obscur, et qui s’accointe aux énigmes, aux premiers émois, aux ardeurs juvéniles. Il court sur Joseph Conrad une promesse d’îles, une rumeur de périple et d’or perdu qui vous submerge comme une vague. Sans parler de ces mots qu’il sème dans ses phrases comme des cailloux enchantés : amers, amures, beaupré, ralingue, brion, brigantin, chouque, suroît, estrope, wharf !
Des histoires d’honneur, des défections, des idées fixes, des errances éperdues, des naufrages. Des ovations soudaines, des clameurs muettes, des relents de goudron et d’épices. Des fleuves noirs, des peaux brunes, des fièvres. Un vent des tropiques, brrr ! coupé par les glaces du Titanic.
On sait tout de suite qu’on n’est pas dans un roman de François Mauriac ou de Jacques Chardonne. Avec Conrad, tôt ou tard, ce sera panique à bord, et on aura le mal de mer. On s’échappe, on s’échoue, on se dépayse. On est emporté non pas dans un pays inconnu ni même sur une autre planète, mais dans un abîme intérieur, au cœur des ténèbres ; et l’on apprend qu’il y a une
