Si tant de discours creux sur la race, le genre et les colonies résonnent aujourd’hui dans les amphithéâtres de sciences humaines, c’est probablement parce que l’habitude de délirer à tout propos avec autorité s’y est solidement implantée au fil des décennies.
Elle se nomme Rachele Borghi. Le 8 janvier 2021, elle a publié sur les blogs de Mediapart une longue tribune protestant contre l’organisation d’examens partiels par temps de Covid. Anecdotique sur le fond, son texte est remarquable sur la forme. Intégralement en écriture inclusive, il oublie souvent les accords élémentaires de grammaire et multiplie les fautes grossières ; « les étudiant.e.s se sentent méprisé et intimidé », « plusieurs étudiant.e.s ont été fiché », « épistémologies guérillères » pour « guerrières », etc. Ce serait amusant, sans plus, si Rachele Borghi n’était pas maître de conférences en géographie à Paris-Sorbonne (Paris IV). Ses travaux sont difficiles à résumer. Partie du thème de la ville genrée faite pour les hommes, en particulier au Maghreb, elle a dérivé vers l’analyse du potentiel subversif de la sexualité. Sa production est émaillée de phrases telles que : « Au sein du transféminisme, le post-porn a pour objectif d’atteindre et de perturber les mécanismes de domination, y compris les mécanismes de la domination post-coloniale »… Ceux qui veulent se rassurer peuvent se dire qu’il n’y a rien de bien nouveau. Dans les années 1950, déjà, le psychanalyste Wilhelm Reich entendait remplacer les centrales thermiques par des accumulateurs captant l’énergie abondante et gratuite des orgasmes planétaires qu’il avait baptisée l’orgone. La différence préoccupante entre les deux époques est que Reich a rapidement été mis au ban de la communauté des chercheurs, alors que Rachele Borghi est clairement dans l’air du temps. Cela en dit moins sur ses mérites que sur l’état des sciences humaines. Si tant de discours creux sur la race, le genre et les colonies résonnent aujourd’hui dans les amphithéâtres, c’est probablement parce que l’habitude de délirer avec autorité s’y est solidement implantée au fil des décennies.
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La genèse du phénomène est complexe. Est-ce à cause des Mythologies de Roland Barthes ? À considérer que tout peut être objet d’études, en vient-on fatalement à étudier n’importe quoi ? Les historiens des idées répondront peut-être un jour. En attendant, le résultat est sous nos yeux. L’écart traditionnel entre les sciences humaines et les sciences dures (maths, physique, biologie, etc.) est devenu un gouffre. L’astrophysique, la génétique et les neurosciences avancent à pas de géant depuis vingt ans : détection des ondes gravitationnelles en 2016, première photo d’un trou noir en 2019, diffusion des anticorps monoclonaux, renouveau complet de la paléoanthropologie permis par les études d’ADN, etc.
Les sciences humaines, de leur côté, ne font pas du sur-place, elles s’écroulent de l’intérieur. Le phénomène est quantifiable en psychologie, discipline frontalière entre sciences humaines et sciences tout court. C’est la fameuse « crise de reproductibilité ». En 2015, Science a publié une étude associant 270 chercheurs, visant à reproduire 100 expériences psy fondamentales. À peine plus d’un tiers (36 %) des réplications a confirmé les résultats originaux. Or, les professionnels n’en ont tiré aucune conséquence. Invalidée par de multiples expériences, la théorie de la « mémoire traumatique » est en train de se diffuser en France, après avoir été invalidée aux États-Unis il y a vingt ans.
Canulars, cote d’alerte
Du côté des disciplines résolument non expérimentales, la facilité avec laquelle les publications spécialisées acceptent les canulars les plus énormes est déconcertante. Les chercheurs Sokal et Bricmont avaient montré la voie en 1996, piégeant la prétentieuse revue postmoderne américaine Social Text. Le texte qu’ils lui avaient envoyé prétendait appliquer à la politique et à la linguistique les avancées de la physique quantique. Les éditeurs s’étaient laissés abuser par un verbiage complexe, mais vide de sens. En 2018, une journaliste, un mathématicien et un philosophe (Pluckrose, Lindsay et Boghossian) sont allés infiniment plus loin. Ils ont réussi à faire publier sept articles d’une stupidité si grossière que l’expérience n’est plus hilarante, mais glaçante. Il était question de développer un culturisme inclusif pour obèse, d’expérimenter le port du plug anal pour soigner les homophobes, d’analyser la culture du viol chez les chiens dans les parcs et de dénoncer l’astronomie, science « intrinsèquement sexiste ». Constat effarant, ce denier article a été dépassé par la réalité. En 2019, trois chercheurs de l’université canadienne de Concordia se sont vu attribuer une bourse d’études de 163 000 dollars canadiens (96 000 euros au cours actuel), pour « décoloniser la lumière ». Comme l’explique le site decolonialisme.fr, il s’agit de « contribuer à l’écriture d’une nouvelle histoire de la lumière et des couleurs qui brisera l’hégémonie blanchiste et masculiniste » qui veut que le blanc soit lumière, et le noir, obscurité. « L’anus comme laboratoire de pratiques démocratiques » n’est pas davantage un canular. C’est un des thèmes de recherche de Rachele Borghi. Dans la Sorbonne d’aujourd’hui, il convient de ne pas en sourire.
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La réhabilitation du mouvement perpétuel, de la sorcellerie et du vaudou
On pourrait penser que ces délires sont réservés à des universitaires en poste, se livrant à leur lubie une fois installés dans quelque sinécure. Hélas, le mal est plus profond, comme en témoigne ce mémoire de master 2 en science politique, sur « l’impossible émergence de l’énergie libre au sein du système scientifique et capitaliste actuel », présenté en 2016 à l’université d’Auvergne, sous la direction du professeur Klaus-Gerd Giesen. En 104 pages, avec tous les dehors extérieurs du sérieux (plans, notes de bas de page foisonnantes, bibliographie), il réhabilite la machine à mouvement perpétuel. « Représentant une alternative véritable au système énergétique capitaliste », écrit l’étudiante, « l’énergie libre » dérange ! Les puissants la cachent, pour sauver les industries du pétrole et du nucléaire. Contrôlant les délivrances des brevets, ils ne reculent pas devant les pressions et les menaces.
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Causeur a vérifié que l’étudiante qui a brisé ce tabou n’avait pas été jetée dans un canal, les pieds coulés dans le ciment. Nous sommes heureux de vous annoncer qu’elle va bien. Aux dernières nouvelles, elle tenait une épicerie bio dans la montagne bourbonnaise. Nos sciences humaines, en revanche, vont très mal. Selon les données du système d’information sur la recherche et les études doctorales (Siredo), le taux d’abandon des thésards en histoire, littérature, sociologie, etc., frôle les 45 %, alors qu’il est négligeable en sciences dures. 90 % des thèses en sciences sont financées par un partenariat quelconque, contre un tiers seulement en sciences humaines (en rangeant parmi ces dernières le droit et l’économie !). Parce que les financeurs sont bassement utilitaires ? Ou parce que nombre de thèses d’anthropologie, de sociologie ou de littérature décoloniale n’ont strictement aucun intérêt ? Le doyen de l’UFR lettres et philosophie de Bourgogne, Henri Garric (qui a qualifié Causeur de « torchon raciste et sexiste » fin 2019) s’est spécialisé dans l’étude des messages politiques dans Pif le chien. Il a organisé un colloque international sur ce sujet, toujours en 2019.
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En 2017, l’université de Nancy a examiné une thèse de 676 pages sur la géobiologie (« Géobiologie, fengshui et démarche environnementale dans l’habitat »). Un seul mot suffisait : foutaises. L’auteur admet d’ailleurs dès l’introduction que les livres qui traitent de géobiologie « sont souvent classés au rayon ésotérisme des librairies, à côté des ouvrages de sorcellerie ». Il y a bien entendu mille choses à raconter sur le vécu des géobiologues, ce qui permet de ne jamais dire ouvertement qu’ils délirent gentiment. Sous couvert de neutralité, d’ouverture d’esprit et de refus des jugements de valeur, de nombreux mémoires et thèses en viennent ainsi à légitimer l’obscurantisme. La prestigieuse université de Lausanne examine en 2019 le mémoire de Master de A. P. prenant pour argent comptant l’influence bénéfique de la musique sur les plantes, elle cite avec déférence Joël Sterheimer, alias Évariste, chanteur des années 1960 prétendant remplacer les phytosanitaires par de la pop ou du classique. Déclinaison musulmane de l’exorcisme, la roqya est un champ d’exploration de plus en plus fréquenté par les sociologues, ethnologues et anthropologues. Tous se font un devoir de suspendre leur jugement, jusqu’à la petite phrase qui réhabilite en douce la bêtise et les superstitions : « La maladie chronique prend une autre dimension à la lumière d’autres soins non conventionnels tels que la rouqya. Un mal réinterprété et pris en charge dans une pluralité thérapeutique met en évidence les limites, voire l’impuissance de la médecine » conventionnelle. Signé F. Z. C., université de Provence, thèse sur la roqya soutenue en 2007.
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Si l’enquête sur l’islamo-gauchisme à l’université que Frédérique Vidal a demandée voit le jour, tout porte à croire qu’elle exhumera des travaux lamentables et des doctorats complaisamment accordés sur la base de thèses indigentes, mais pas plus que dans d’autres champs des sciences humaines et sociales. La seule bonne nouvelle, c’est qu’en dix ans, le nombre de personnes inscrites en thèse dans ces disciplines a reculé de près de 25 %.
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